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Haro sur le kitsch

Dans une conférence de 1950, l'écrivain Hermann Broch vitupère contre l'art bourgeois.

Vieil homme vert mais proche de la mort (il décèdera peu de temps après cette conférence prononcée pendant l’hiver 1951), Hermann Broch s’attaque sur un ton semi-badin et devant un auditoire qui lui est tout acquis (les étudiants du séminaire germanique de l’université de Yale) à sa bête noire. Au kitsch, cette dégénerescence du goût vers le décoratif, le creux, l’emphase, il reconnaît la capacité à atteindre parfois le génie. Lorsqu’il est manié, par exemple, par Berlioz ou par Wagner. Mais le kitsch moyen est une abomination. Abomination car l’artiste a changé les données du métier. Il a substitué à un but éthique un but esthétique. Là où son prédécesseur avait pour unique ambition de faire un bon travail, dans le respect des principes acquis, l’artiste du kitsch se donne pour objectif de «produire du beau», et d’en produire en grande quantité. Il a un allié irremplaçable – un moteur – dans la bourgeoisie qui entend, elle, en consommer de très grandes quantités.

Agrémentant sa démonstration de citations d’Eichendorff et de Novalis, de renvois à Paul de Kock et à Dalí, de descriptions des formes les plus aberrantes du mouvement kitsch – du gothique badigeonné au style renaissance néo-baroque – l’auteur des Somnanbules s’en donne à cœur joie. On aura cependant un peu de mal à le suivre lorsqu’il voit dans la floraison de cet art «tape-à-l’œil» (dans la jolie traduction française de 1966) la tentative de la bourgeoisie de concilier l’ascétisme travailleur de ses débuts avec ses envies de libertinage héritées de l’époque des Lumières. Mais tout l’intérêt de ce court essai, dans la délicieuse présentation des éditions Allia, est de nous rappeler que le kitsch, corollaire de la révolution industrielle et de la consommation de masse, est désormais omniprésent, impérieux, inévitable. Sur notre table, dans nos armoires à vêtements, dans la rue : nous le fréquentons tellement que nous ne le reconnaissons plus…


 Rafael Pic
24.10.2001