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Expositions

Van Gogh, Autoportrait, 1889

Pas d'oreille pour Van Gogh

L'Art Institute de Chicago propose une confrontation des œuvres réalisées par Van Gogh et Gauguin pendant leur période arlésienne. Avec, en toile de fond, une question obsédante : qu'est devenu le célèbre appendice du Hollandais?

L'exposition de Chicago présente près de 150 œuvres produites en un moment d'extraordinaire ferveur créatrice : les deux mois que Van Gogh et Gauguin ont passé ensemble dans la «petite maison jaune » d'Arles, d'octobre à décembre 1888. Une collaboration fructueuse mais marquée par une issue violente. Gauguin repart précipitamment à Paris la veille de Noël tandis que Van Gogh est mutilé : il lui manque une oreille. Jusqu'à présent, la version défendue dans les manuels était claire : Van Gogh, affligé de diverses pathologies, dont la folie n'était pas la moindre, se taillade, après une violente dispute avec Gauguin, l'oreille. Puis, titubant, il va faire don de son moignon à une pensionnaire du bordel voisin tandis que Gauguin le quitte pour aller passer la nuit à l'hôtel puis regagne Paris. Une analyse que partage le conservateur de Chicago, qui voit dans l'auto-mutilation un geste quasiment sacral. Rita Wildegans, une historienne de l'art allemande qui a longuement enquêté sur l'affaire, réfute cette vision. Elle nous présente sa thèse.

C'est Gauguin qui aurait coupé l'oreille de Van Gogh ?
Rita Wildegans.
Oui. Avec son épée. Je m'explique. Les deux hommes se disputaient fréquemment mais Gauguin était probablement le plus violent des deux. Il était par ailleurs un escrimeur émérite. Il avait suivi des cours à Pont-Aven et était maître d'armes. Il ne se séparait pas de son épée, qu'il avait apportée avec lui lorsqu'il avait rejoint Van Gogh à Arles en octobre 1888. D'autre part, Van Gogh était sujet à des crises de porphyrie, une maladie du métabolisme, qui le laissaient quasiment tétanisé et incapable de commettre un tel acte d'automutilation, qui ne correspond d'ailleurs pas à ce type de pathologie.

Avez-vous des preuves précises ?
Rita Wildegans.
Il n'y avait personne cette nuit-là avec eux. On ne pourra donc jamais fournir de preuves irréfutables. Le seul témoignage que l'on ait, et qui est jusqu'à aujourd'hui la version officielle, c'est ce qu' écrit Gauguin dans ses journaux intimes. Quant à Van Gogh, il a écrit à son frère Théo qu'il était totalement inconscient au moment des faits. Mes recherches ont commencé avec un tableau de Gauguin, qui se trouve à l'Ermitage. Il est particulièrement éclairant : c'est un tableau symboliste, Tournesols sur une chaise (1901). On y voit des tournesols morts et, au milieu, un œil qui vous fixe. Pour moi, c'est la mauvaise conscience de Gauguin qui le travaillait encore lorsqu'il se trouvait aux îles Marquises, plus de dix ans après l'événement. Les tournesols morts, c'est bien sûr Van Gogh et son œil reproche à Gauguin son acte.

Avez-vous des preuves autres que picturales ?
Rita Wildegans.
Nous savons par Adeline Ravoux, fille de l'aubergiste, que l'oreille a été coupée net. Cela ressemble plus à un coup d'épée (qu'à l'époque on affilait des deux côtés) qu'à une opération menée au rasoir. Mais ce n'est pas tout. Dans son livre Avant et après, Gauguin se vante d'avoir toujours su échapper à la prison par ses « détours ». En faisant référence à l'affaire Van Gogh, il parle de la « terreur d'une nuit sombre » et s'identifie à des Grecs antiques coupables d'une forfanterie jamais éclaircie, et pour laquelle on condamna plusieurs innocents…


 Rafael Pic
24.09.2001