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Expositions

Arnold Newman, prince du portrait

Ceux qui créent, ceux qui décident : dans sa longue carrière, qui a débuté avant la Seconde Guerre mondiale, il les a tous photographiés. Son florilège idéal est rassemblé à Paris, à l'hôtel de Sully.


Igor Stravinsky, New York, 1946
Photo Arnold Newman © Arnold Newman
Son célèbre Stravinski, accoudé sur son piano, comme sur un capot de voiture de sport, illustre ses talents de composition. Ce noir profond, ces beaux gris, ces lignes qui se coupent, ce musicien, petit, élégant, écrasé par son instrument… C’est d’ailleurs le reproche qu’on pourrait faire à Arnold Newman : c’est trop léché, trop intellectuel. Woody Allen, aux lunettes protubérantes, la chemise froissée, qui noircit ses cahiers à lignes. Isamu Noguchi, comme un profil grec mâtiné d’origami. Francis Bacon, au regard halluciné sous la lumière aveuglante d’une pauvre ampoule. Eugene O'Neill, sévère, devant les reliures de sa bibliothèque. Helena Rubinstein en parvenue, aux longs ongles peints, entourée de copies d'antiques. Ou Françoise Sagan, petite fille triste en habit noir. À voir tous ces personnages si impeccablement orchestrés (mais étrangement accrochés, dans cette exposition, sur un fond rouge), en accord avec leur génie et leur caractère, on se prend à espérer, au détour d’une cimaise, en guise de rafraîchissement, ces exercices minimalistes à la Irving Penn, qui poussait ses victimes (Duchamp ou Capote) dans un recoin, entre deux murs.


Francis Bacon, Londres, 1975
Photo Arnold Newman
© Arnold Newman
La couleur aussi
Le vieux maître était là, hier, sanglé dans un costume élégant, rehaussé d'une cravate… rouge. Que de chemin fait depuis ses débuts à la fin des années trente ! Remarqué par Stieglitz en 1941, employé chez Harper’s Bazaar, Arnold Newman fait sa première couverture de Life en 1947. Il a 29 ans. Dans sa longue carrière, il va aborder tous les genres : la publicité, la photo de voyage, le reportage politique (à l’occasion d’une élection présidentielle américaine), la reproduction d’œuvres d’art (il publie dans Life, dès 1950, un sujet sur les acquisitions des musées américains, conseille celui de Jérusalem, réalise l’album-anniversaire de la Smithsonian Institution). Mais son obsession demeure le portrait. Il profite de voyages sur le Vieux Continent pour croquer Giacometti ou Picasso, ou Soulages dès 1954. En dépit d’un préjugé tenace, ses essais en couleur ne sont pas moins concluants. On regrette d'ailleurs d'en voir aussi peu. Ces images fortes sont réunies au bout d'un couloir. Il y entre ce grain de folie que l'on attendait : voyez le capitaine d’industrie Krupp, aux airs de docteur Mabuse, devant des kilomètres de chaînes de montage ; voyez le cardinal Pla, étouffé par son argenterie d'église ; voyez le Négus, minuscule dans sa chaise, exhibant ses chaussures anglaises vernies…


 Rafael Pic
28.06.2002