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Expositions

La fête à Cremonini

Le musée de La-Seyne-sur-Mer célèbre le dérangeant artiste italien, juste avant sa rétrospective milanaise.


Vue de l'exposition
Photo Françoise Monnin
© Adagp
«Si j’ai continué toute ma vie à faire le peintre, c’est uniquement à cause de la dimension juive du monde : c’est-à-dire la confiance acharnée dans l’individu !» Isolé, depuis que la peinture est passée de mode dans les milieux institutionnels, Leonardo Cremonini apprécie d’autant plus la rétrospective éclatante que lui consacre la Villa Tamaris (accompagnée d’un catalogue intelligent, rédigé par Régis Debray et Umberto Eco). Véritable bastion consacré à la peinture de la deuxième moitié du XXe siècle depuis 1995, Tamaris présente sur trois étages quarante toiles de grands formats, jalonnant le parcours de l’artiste, depuis 1953. Il avait alors 28 ans et venait de s’installer à Paris, après avoir étudié la peinture à Bologne et Milan, dans le voisinage de Morandi notamment. Depuis, Cremonini, fils de cheminot qui pratiquait la peinture, élabore des images particulières.


Les abris futiles, 1987.
© Françoise Monnin.
Au loin, le bonheur...
À chaque fois, dans un espace structuré par quelques éléments d’architecture et de rares accessoires, choisis pour leur allure géométrique et pour le rythme de leur animation graphique (panneaux de signalisation, parasols, banquettes de train, etc.), il n’est question que de faufilages en coulisses. Les scènes qui se déroulent sont intimes et silencieuses. Un homme dégrafe le soutien-gorge d’une femme. Un enfant entrebâille une porte. Une baigneuse bronze sur la plage. Tout ne pourrait être que bonheur, si la fixité des regards et des attitudes des êtres mis en scène ne suspendait pas le temps ; si l’intensité des couleurs et des contrastes ne provoquait pas une sorte d’aveuglement ; si le jeu des cadrages et des cloisonnements ne suggérait pas la mutilation ; si les effets de coulures, savamment orchestrés, n’évoquait pas la déliquescence. La tradition métaphysique de l’art italien est ici adaptée aux temps modernes. La condition humaine n’en paraît que plus désespérée. «Aujourd’hui, estime Cremonini, du point de vue de l’idéologie et de la pensée critique, il n’y a plus d’espoir. Nous vivons une faillite.» Cependant, il peint, toujours plus, des yeux d’enfants sans cils ni lunettes. Brûlés par la Vérité entraperçue et, comme lui, jouant encore. Peindre, vivre : un même défi.


 Françoise Monnin
24.08.2002