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Patrimoine

Le club des lapins archéologues

Dans le comté du Warwickshire, en Angleterre, les petits mammifères à fourrure ont involontairement prêté main forte aux spécialistes d’art médiéval…

Si les vitraux médiévaux ornent encore largement les églises, il est beaucoup plus rare de mettre au jour du verre de même époque provenant d’édifices civils. Le coup d’éclat des lapins d’Albion est donc remarquable. «Il y a environ six mois, une équipe d’archéologues qui fouillait dans la région nous a signalé la présence de tessons de verre à l’entrée de terriers, sur un site que nous tenons encore secret pour le protéger de la curiosité du public. Il s’agit d’une ancienne motte sur laquelle s’élevait un manoir au XIVe siècle, abandonné à la fin du Moyen Âge», explique Paul Stamper, inspecteur des monuments historiques auprès de English Heritage, la Direction du Patrimoine britannique.


L'archéologue Paul Stamper, de
English Heritage, examine les
morceaux de verre.
© New Team
Comme chez Fellini
«Plus de cent fragments ont été mis au jour, dont le plus grand mesure dix centimètres de long. Ils sont teints en verre, en jaune, en rouge et portent des décorations. Le rôle des experts sera de déterminer la composition d’ensemble de ce qui formait très probablement la fenêtre de l’appartement privé et dont les dimensions pourraient dépasser deux mètres carrés.» Il pourrait s’agir de motifs végétaux, de symboles héraldiques ou de représentations des prophètes de l’Ancien Testament. En attendant d’être interprétées, les pièces que menace la lumière du jour - comme les fresques du métro dans Fellini Roma - sont soumises à un traitement préventif, dans une solution d’alcool et d’eau distillée. L’analyse permettra aussi de déterminer leur provenance, probablement une manufacture française.


© New Team
Solidarité avec les blaireaux
Quel avenir pour les lapins ? Seront-ils mis en sauce ? «Nous devons agir avec prudence, avoue Paul Stamper. Il y a beaucoup d’amoureux des animaux parmi les membres de English Heritage. Nous allons donc tenter de déloger les lapins puis le terrain sera recouvert d’un treillis afin qu’il leur soit impossible de réintégrer leurs terriers.» Si les lapins - ainsi que les blaireaux, dont la population, en augmentation constante, ronge les fondations de la digue d’Offa (VIIIe siècle), à la frontière anglo-galloise - constituent une plaie pour le patrimoine britannique, il n’en a pas toujours été ainsi. Introduit de Sicile par les envahisseurs normands au XIIe siècle, le lapin brun était alors un animal de grand prix, dont la viande et la fourrure n’étaient qu’à la portée de l’aristocratie. Sa garde était confiée au warrener, qui tentait de réconforter la créature méridionale, affaiblie par le climat rigide des Îles britanniques. En huit siècles, son statut a bien changé. L’ancien mets de prince est devenu une viande banale que les restaurants n’osent même plus afficher. C’est pourquoi le lapin, vexé, est devenu archéologue.


 Rafael Pic
14.09.2002