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Expositions

Lou Laurin-Lam, Bona et André Pieyre de Mandiargues, 1982, technique mixte


Wilfredo Lam en version féminine

Dans l'ombre de son mari, Lou Laurin-Lam s'est créé un univers à elle, peuplé de grenouilles et d'autels.

Cubaine, mexicaine, caraïbe au moins… A voir son œuvre, marquée par une explosion de couleurs, une exubérance de la matière, un grouillement d'être imaginaires typiques des tropiques, on se dit que le doute n'est pas permis. Non. Lou Laurin-Lam, qui a droit à sa propre rétrospective à la Maison de l'Amérique Latine, en attendant celle de son grand homme de mari au musée Dapper, est banalement suédoise. Mais plusieurs décennies de vie commune et la fréquentation des mêmes amis l'ont durablement marquée. Dans une vitrine de l'entrée, on remarque un classique de l'ethnographie du 20e siècle, « L'Afrique fantôme » de Michel Leiris. En observant bien, on retrouvera la vignette qui l'illustre dans les salles du sous-sol, sous forme d'un tableau mêlant peinture, collage, matériaux divers.

Leiris mais aussi André Pieyre de Mandiargues, Julio Cortázar, Alejo Carpentier : tous, amis ou connaissances, ont été croqués sous forme animale. Leiris se transforme en un singe chauve, Pieyre de Mandiargues a le regard vitreux d'un poisson blasé. La vitalité de Cortázar prend la forme d'un taureau tandis. Un classique jeu d'enfant dessiné à ses pieds sert de rébus pour identifier l'auteur de « Marelle ». Aimé Césaire ? Un paresseux suspendu à sa branche. Alejo Carpentier ? une grenouille placide. La plupart de ces mutants sont reconnaissables et affublés de colifichets variés : bouts de corde, boutons brillants, perles, touffes de laine. Si le lien n'était pas trop évident, on se permettrait de relier l'artiste à la mouvance de Dubuffet et de l'art brut.

Les autels, accumulations portatives où voisinent chaussures de la grand-mère, photos découpées, fraises en plastique, fleurs artificielles, sont de délicieuses cacophonies surréalistes. De temps en temps, on y aperçoit, inévitablement, une grenouille… Dans toutes les salles, elle est omniprésente, seule, en groupe, à plat, en relief, accompagnée d'extraits de la comédie d'Aristophane ou de textes d'Alain Jouffroy. On connaît les dessins de Le Brun, reproduits dans tous les traités de physiognomonie, où une grenouille se transforme, par modifications successives, en un bel Apollon. Lou Laurin-Lam adhère plutôt à la doctrine de Jean-Paul Brisset, un curieux écrivain de la fin du 19e siècle, tenu en estime par André Breton, qui voyait dans le batracien l'origine de la lignée humaine. Mais elle a également un faible pour les éléphants et pour l'un d'entre eux, Fritz, un don du cirque Barnum, abattu en 1904 au zoo de Tours, qu'elle a pieusement mis sous verre. Lou Laurin-Lam l'a même reconstitué, rose bonbon. Vous ne le verrez pas boulevard Saint-Germain. Il repose dans le parc tourangeau de l'artiste.


 Rafael Pic
27.09.2001