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© Éditions Belin

Arc-et-Senans, l'utopie et le sel

Depuis le projet initial jusqu’à sa transformation en un centre culturel, l’ouvrage de Daniel Rabreau retrace l’histoire de la saline royale d’Arc-et-Senans.

Lorsque Louis XV lui confie la réalisation de la saline, Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) est architecte des Eaux et Forêts depuis une dizaine d’années. Pour bien comprendre l’importance du projet, il faut se replacer dans le contexte historique. Le sel est une denrée essentielle dans la vie du royaume : un impôt indirect, la gabelle, est prélevé sur sa consommation indispensable à la conservation des aliments. Ce bâtiment hors du commun se concrétise à partir de 1775 dans un formidable contexte économique d’expansion préindustrielle, alors qu’un réseau routier et un système de canaux se développent dans toute la France.

Comme l’autre grand chantier entrepris par Ledoux en Franche-Comté, le théâtre de Besançon, la saline d’Arc-et-Senans demeure, selon l’auteur, un symbole monumental de la civilisation des Lumières. «Une architecture, d’une part, décente pour l’habitat ouvrier et, d’autre part, représentative d’un mode de vie communautaire soumis à l’autorité royale», tel est, en résumé, le cahier des charges que s’impose l’architecte. Car, pour ce dernier la saline est bien plus qu’une usine. Autour de la fabrique, Ledoux souhaite réaliser une ville idéale dont la maison du directeur, dominant tous les bâtiments, constituerait le noyau. Parmi les illustrations et les planches présentées, figure le premier plan, carré, imaginé par Ledoux. Des vues perspectives fictives comme celle de la forge à canons ou celle de la maison des directeurs, «sous forme de cylindre d’où jaillissent en cascade les eaux de la Loue», reflétant la vision étonnamment futuriste de l’architecte.

L’exploitation de la «cité-usine» débute en 1778 et se prolonge de manière chaotique jusqu’en 1895. Elle échappe à la destruction en 1926 en étant classée Monument historique. Ce qui permet, aujourd’hui encore, d’admirer son plan en demi-cercle, le portique «titanesque» du pavillon d’entrée, les onze bâtiments indépendants distribués symétriquement et les parcelles de jardinage à l’arrière des bâtiments des ouvriers. Depuis 1972, l’édifice, siège de la fondation Claude-Nicolas Ledoux, accueille un centre culturel consacré à la réflexion sur l’architecture et la cité. Un beau projet lorsqu’on songe que la cité ouvrière dont Ledoux écrivait «les intérêts respectifs de l’ouvrier et du traitant, voilà les considérations qui ont fixé la disposition générale de ce plan», semble plutôt totalitaire au visiteur du XXIe siècle. Ce qui n’empêche pas Daniel Rabreau de déplorer l’utilisation actuelle des espaces extérieurs pour un festival des jardins annuel. Une note polémique qui soulève une question très actuelle : Comment éduquer le public à l’histoire de l’art en évitant de sombrer dans le tourisme ?


 Laure Desthieux
17.08.2002