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Expositions

Rubens : être baroque ou ne pas être

Le maître flamand, recordman du monde aux enchères, vaut bien une double célébration. Lille et Anvers se sont liguées pour le fêter.


Peter Paul Rubens, Samson broyant les
mâchoires du lion
, Madrid, Collection
Villar-Mir © Palais des Beaux-Arts de Lille
A Lille, couronnée capitale européenne de la culture 2004, le Palais des Beaux-Arts peut s’enorgueillir de proposer pour la première fois en France une rétrospective d’envergure : peintures, esquisses à l’huile, dessins ou tapisseries : ce ne sont pas moins de 160 œuvres du maître flamand qui sont exposées. Une occasion de rappeler qu’au XVIIe siècle la ville appartenait aux Pays-Bas du sud, ce qui explique en grande partie qu’à ce jour elle abrite encore bon nombre d’œuvres de Peter Paul Rubens (1577-1640), à l’origine commandées pour les couvents et églises de la ville. Comme pour asseoir la légitimité de cette parenté, l’exposition se concentre principalement sur l’œuvre flamande de l’artiste. Au patrimoine local viennent s’ajouter des dizaines d’œuvres en provenance de musées ou de collections particulières du monde entier, d’Europe comme des Etats-Unis.
Il s’agit donc d’un véritable événement autour de cet artiste fécond (plus de 1200 peintures recensées) et maître ancien le plus cher (77 millions de dollars pour le Massacre des Innocents en 2002) qu’Arnauld Brejon de Lavergnée, conservateur général du patrimoine et commissaire général de l'exposition, décrit comme un «peintre protéiforme, peintre de tableaux de chevalet, décorateur, peintre européen des grandes cours, aussi à l'aise dans le portrait que dans les paysages, les tableaux d'autels ou les scènes de genre».

De la période italienne à l'atelier
Une première section introduit la période italienne de Rubens, détaillant les années d’apprentissage, le séjour en Italie (1600-1608) et les premières commandes officielles. Il vit à Rome, à Mantoue où le duc de Gonzague lui offre le titre de peintre officiel à la cour ; à Gênes, où il exécute de majestueux portraits de l’aristocratie locale. En amateur éclairé et homme d’érudition, il étudie la Renaissance italienne et trouve des modèles dans l’Antiquité classique, trouvant en l’Italie une source d’inspiration qui deviendra une composante de son style, une influence perpétuelle sur son choix de sujets, de coloris qui évoquent le Titien, Jacopo Bassano et le Tintoret. De retour à Anvers, les commandes affluent. La bourgeoisie locale, à laquelle sa propre famille appartient, lui réclame portraits et tableaux d’histoire, jouant parfois les commanditaires pour diverses institutions et églises. Cette deuxième section compte également des œuvres peintes par Rubens pour lui-même ou pour sa famille, notamment un portrait de sa première épouse, Isabelle Brant. A cette même époque, il reçoit diverses commandes de la ville d’Anvers, et se voit notamment chargé de la décorer à l’occasion de la Joyeuse Entrée de l’archiduc Ferdinand.
La troisième section est réservée aux commandes du clergé : retables, plafonds, décoration architecturale et sculpturale, en ces années troubles de la Contre-réforme, Rubens apposa sa griffe sur de nombreux édifices religieux. Des esquisses et des dessins préparatoires sont proposés en parallèle. Un quatrième volet se consacre au mécénat princier et aristocratique, dont la série de Marie de Médicis et Henri IV, les décorations pour la Torre de la Parada ou les portraits de Richelieu, Buckingham… Plus surprenante car moins attendue, la cinquième partie de l’exposition propose les tentures formant quatre séries de tapisseries dont Rubens réalisa les cartons (les esquisses sont également exposées) : l’Histoire de Constantin, le Triomphe de l’Eucharistie, l’Histoire d’Achille et l’Histoire de Decius Mus. Enfin, l’exposition prend fin avec l’atelier de Rubens. Etudes et croquis, ou copies d’autres artistes, œuvres de collaboration avec d’autres artistes (hors atelier), ces feuilles faisaient exclusivement partie du portfolio de l’atelier, à titre documentaire.

A Anvers, un autre Rubens : le collectionneur
En complément idéal à l’exposition du Palais des Beaux Arts de Lille, la ville d’Anvers propose un véritable pèlerinage, une incursion dans la vie de Rubens : coloriste de génie, il fut aussi un formidable collectionneur, diplomate, graphiste et graveur, créateur génial, professeur… Né au sein d’une famille bourgeoise et relativement nantie, le succès que connut, assez rapidement, Rubens s’accompagna d’une fortune colossale, qui lui permit de se consacrer à ses passions. Une visite de sa demeure à Anvers laisse entrevoir ce que les collections de cet homme d’affaires avisé (qui n’hésitait pas à proposer ses services en tant qu’acheteur, et lui-même pouvait parfois acquérir œuvres ou objets d’art uniquement dans le but de réaliser par la suite une plus-value) pouvaient représenter. La variété et la richesse de ses collections, exposées dans un cabinet d’art inspiré du Panthéon de Rome, attiraient les plus grands, dont Spinola, Marie de Médicis, alors reine de France, le roi Sigismond de Pologne, l’infante Isabelle… Les goûts de Rubens s’y reflétaient, avec un choix impressionnant de toiles de maîtres italiens (Titien toujours, Véronèse, Tintoret), flamands ou allemands (Holbein, Elsheimer, Bruegel l’Ancien, et sans doute la plus importante collection particulière d’œuvres d’Adriaen Brouwer, son contemporain), d’objets antiques, monnaies, camées ou médailles…
En complément, les curieux pourront visiter «Une passion pour les livres» et «Copyright Rubens», deux expositions connexes. La première, au sein du Museum Plantin-Moretus (du nom d’un de ses amis anversois et fidèle mécène), présente pour la première fois un échantillonnage significatif de ce que fut la bibliothèque de Rubens, l’une des plus importantes d’Anvers, avec ouvrages de linguistique, d'archéologie (en latin), biographies d'artistes, atlas, littérature politique et historique (Rubens fut également diplomate), manuels scolaires, parmi d’autres genres encore. « Copyright Rubens » constitue une approche originale de l’œuvre gravé de Rubens, tout en établissant un lien avec sa passion pour les livres. Il n’était pas graveur lui-même, mais s’appliquait cependant à rendre, dans des esquisses au crayon, de manière la plus précise possible, son «coup de pinceau» de manière à ce que ses œuvres soient en quelque sorte retranscrites avec la plus grande fidélité par les graveurs sélectionnés. Non seulement cette minutie lui permit de contrôler la reproduction de son œuvre et sa commercialisation (d’où l’allusion à un « copyright » avant l’heure), mais également de renforcer sa popularité… de son vivant !


 Elodie Palasse
09.03.2004