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Marché

Ma première vente aux enchères

Jacques Tajan, «J’étais pétrifié…»
Le commissaire-priseur revit son baptême du feu, en 1972, devant une salle comble.

Les ventes aux enchères, c’est comme le théâtre. On se prépare et quand on se sent prêt, on le fait… En ce qui me concerne, ça ne s’est pas passé comme cela ! C’était en 1972. J’avais une trentaine d’années et j’étais tout jeune commissaire-priseur. Je travaillais avec l’éminent Etienne Ader. Ce jour-là, il a oublié qu’il avait une vente de meubles et d’objets d’art dans l’ancien Drouot. 14 heures, puis 14 heures 15… Il n’était toujours pas là et cent cinquante personnes piaffaient dans la salle. Le crieur, M. Turpin, m’a téléphoné pour que je vienne diriger la vente. J’ai couru depuis la rue Favart et je suis arrivé pétrifié devant une salle comble. Turpin, qui avait du panache, m’a juste dit :«Ne t’inquiète pas, petit, je suis là». Je me suis entendu dire :«Nous vendons le premier numéro» et au premier coup de marteau, j’ai pensé «Tiens, ils m’ont cru, c’est merveilleux !» On a tellement peur de ne pas avoir d’enchère et de se retrouver comme un imbécile heureux...

«Tu seras le meilleur»
J’ai terminé sans même m’en rendre compte. J’avais la complicité des acheteurs qui avaient attendu et qui savaient ce qui s’était passé. Certains marchands me faisaient des clins d’œil pour m’encourager. La moitié de la salle a applaudi à la fin. J’avais aussi toute la solidarité des commissionnaires de Drouot, comme celle de Jean, qui chantait avant les ventes et qui faisait la quête après en tendant sa casquette. J’avais été clerc comme eux. J’avais même organisé la première grève des commissionnaires de Drouot un jour où les commissaires-priseurs avaient effectué un changement d’horaire. J’étais non seulement leur égal mais aussi le batailleur qui portait la contradiction aux patrons. Et tout à coup, j’était patron moi-même… C’était le premier jour, mais c’est là que tout s’est décidé. Nous avons fait un résultat formidable et, dès lors, j’ai fait toutes les grandes ventes de l’étude. En sortant, Turpin m’a dit : «Tu seras le meilleur », et je l’ai été pendant trente-deux ans ! Il ne buvait que du Suze-cassis. Mais ce jour là, il nous a offert du champagne dans le café d’en face.


  Propos recueillis par L'Art Aujourd'hui
13.09.2002