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Expositions

Berra et son double

L’artiste argentin se voit consacrer sa première grande exposition personnelle en France.


Leandro Berra, Je compatis,
1998, 127 x 90 cm.
© Maison de l'Amérique latine.
PARIS. Autant dire qu'il vaut mieux s'habituer tout de suite à ce personnage filiforme au visage émacié et peu sympathique : on le retrouve, en double et sur différents supports, dans la plupart des œuvres de l'artiste argentin Leandro Berra (né en 1956 à Buenos Aires). Répétition rébarbative ? La mise en abyme d'interprétations en série rend le jeu intéressant. Souvent, la sculpture en bois polychrome fait face à la photographie noir et blanc, inversée, de cette même sculpture. Dans Masculin et Féminin, la sculpture en bois est confrontée à une photo sur calque du séquençage laser de l'ADN du bois taillé. Enfin, dans Bras de fer, c'est contre sa propre image numérique en trois dimensions que lutte l'homme de bois.

La recherche de son ombre
Fasciné par l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, le lauréat du prix Fortabat, décerné en 1990 à la Maison de l'Amérique latine, interroge l'être et son double et «cherche à raconter une histoire inracontable, dire combien toute représentation ne peut être que parcellaire et caricaturale». Passant ainsi de la sculpture à sa photographie, d'une forme archaïque inscrite dans la durée à une forme moderne de l'instantané, d'une surface plane bicolore à un relief en couleurs, le spectateur traverse le temps et l'espace, ne retenant finalement que des portraits incomplets, identiques et anonymes, des Portraits d'une biographie oubliée. Plutôt que d'être un hymne à la mémoire, les portraits de Berra rendent hommage à l'oubli, au «rien» qui résulte du souvenir. «Il y a cependant quelque chose d'essentiel dans la recherche de son ombre, c'est le fantasme de chacun, c'est peut-être là qu'est la vie», conclut l'artiste en citant Pessoa. Comme dans cet assemblage où un homme sculpté tire son chapeau à son identique photographié, l'artiste échange un clin d'œil avec le spectateur en lui chuchotant le titre : Je compatis.


 Anouchka Roggeman
21.10.2002