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Expositions

Bruno Gaudichon

Le conservateur en chef de La Piscine, à Roubaix, nous fait découvrir «Iphigénie» de Louis Billotey.


Louis Billotey, Iphigénie, 1935,
h. s. t., dépôt du Musée national
d'art moderne. © A. Loubry.
ROUBAIX. Louis Billotey est un peintre français des années 1930 pratiquement inconnu. En dehors des expositions de groupes et de quelques commandes publiques pour des églises de l’Aisne, ou la fresque du Palais de Chaillot (la Tragédie, 1937), il exposait rarement ses œuvres. Diplômé de l’Ecole des beaux-arts à Paris, lauréat du prix de Rome en 1907, grand travailleur solitaire, il se donna la mort en 1940, le jour même où les Allemands entraient dans Paris. Pourtant, ce peintre figuratif, appartenant à la même lignée que Dupas, Poughéon, Aubry et Despujols, a réalisé des œuvres qui expriment son siècle, à la frontière de la modernité et de la tradition.

Un artiste d’exception
Iphigénie, acquise par l’État en 1935 pour le Musée national d’art moderne et placée en dépôt au Musée de Roubaix, est un tableau déroutant. S’inspirant d’un thème classique emprunté à Euripide, Louis Billotey met en œuvre un art conceptuel, comme en témoignent ses esquisses abstraites où les drapés apparaissent schématisés. Les travaux préparatoires exposés ici retracent la réflexion de l’artiste et témoignent de l’agencement minutieux de la composition. En remplaçant la perspective des premières études par un fond décoratif qui rappelle les tapisseries mille-fleurs médiévales, l'artiste augmente la tension dramatique de la scène. Dans la version finale, la biche - qui doit remplacer Iphigénie sur l’autel du sacrifice - passe au premier plan. Elle prend une forme cambrée, comme pour supporter le poids du destin, et surtout épouser parfaitement les courbes de la robe du drapé de Clytemnestre, placée à gauche de sa fille. Longtemps vêtue d’une robe verte, Iphigénie apparaît nue dans la version finale. Si le dessin rappelle Ingres, dans les proportions du corps notamment, l’héroïne semble calquée sur un fond, faisant penser aux collages des surréalistes. On est dans l’aboutissement du cubisme décoratif, proche de la méthode de construction et de déconstruction de Picasso. Si la redécouverte de Billotey a un sens, c’est de montrer que l’art moderne français n’a pas été univoque. À trop vouloir être une scène d’avant-garde, la France a fini par gommer des artistes d’exception.


 Anouchka Roggeman
27.11.2002