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Expositions

Frantisek Bilek, le solitaire

Nourri de symbolisme et de mysticisme, l’inclassable artiste tchèque est enfin présenté de façon complète en France.


Frantisek Bilek, Tête de crucifié,
1898, Galerie municipale de Prague.
© Photo Hana Hamplova.
PARIS. L’exposition permet de saisir l’ensemble de l’œuvre de Bilek. Ses sculptures en bois, en plâtre, en pierre sont rapprochées du mobilier superbe qu’il a dessiné pour ses demeures ou pour des particuliers. Ses gravures et ses livres sont mis en scène avec sobriété, mais aussi avec le souci de rendre tangible le fil conducteur très singulier de sa recherche. Enfin, un guide précis et détaillé, distribué gracieusement à l’entrée, permet au visiteur de ne pas risquer un torticolis en lisant les cartels souvent mal placés et peu parlants. Issu d'un milieu très modeste de la campagne de la Bohême, Frantisek Bilek est né en 1872. Ses dons artistiques sont très vite remarqués et il fait ses études à l'Académie des beaux-arts de Prague. Frappé de daltonisme, il doit renoncer à la peinture. Il obtient une bourse d'étude et, comme beaucoup d'artistes tchèques (de Hynais à Kupka en passant par Marold), il se rend à Paris, où il se liera à Bourdelle. Il fréquente en 1891 l'Académie Colarossi. Il est frappé par l'art médiéval quand il visite le Louvre et le Musée de sculpture comparée du Trocadéro. Ses premières œuvres rompent avec l'esprit naturaliste et lui valent… la suppression de sa bourse.

La religion, source de son inspiration
Rentré chez lui, il expose pour la première fois en 1896. Il se consacre dès lors à traduire sa vision religieuse personnelle, empreinte de mysticisme. S'il est proche des milieux symbolistes, son travail est d'une facture très originale. L'un de ses thèmes de prédilection est la douleur christique. Le Crucifié (le premier de 1896, le second de 1897), la Tête de crucifié, le relief de la Madone de 1901 montrent bien cette évolution. Celle-ci prend aussi une tournure historique ou métaphorique avec l'Allégorie de la grande chute des Tchèques (1898), associant le sacrifice du fils de Dieu avec la tragique bataille de la Montagne blanche ou Le Sacrifice de la Vierge Marie (1898). En 1899, il exécute le cycle des Voyages qui a été traduit en terre cuite trois ans plus tard. Son inspiration religieuse l'entraîne à exécuter de superbes allégories comme L’Arbre frappé par la vérité (1901) et L'Arbre frappé par l'éclair qui brûle pour l'éternité, qui est son projet de monument à la mémoire du réformateur Jan Hus. Il dessine les plans de sa maison de Chynov, comme il dessine ceux de sa demeure de Prague. Il les décore du sol au plafond avec une invention inégale, les meublant aussi, affirmant une forme d'art nouveau n'appartenant qu'à lui et dont on peut voir des exemples dans cette exposition. Il faut rendre grâce à Véronique Gautherin et à Hana Larvova d'avoir su restituer avec autant de goût et de subtilité l'univers tourmenté de Bilek sans rien omettre de son art de graveur, d'illustrateur et de décorateur et en mettant l'accent sur l’étrangeté fascinante de sa démarche.


 Gérard-Georges Lemaire
26.12.2002