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Patrimoine

La guerre du vieux rose

Repeindre une sculpture publique peut vous exposer au délit de contrefaçon…

La région Île-de-France avait acquis de l’artiste Marcel Petit, en 1977, une sculpture composée de deux monolithes de béton verticaux de 6 et 10 mètres de haut, pour la placer à l’entrée du lycée Jacques Feyder, à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). En 1995, la même collectivité territoriale a chargé l’architecte Philippe Vincent de la rénovation du lycée. L’architecte a pris la liberté, sans en aviser le sculpteur, de repeindre les deux monolithes du même vieux rose appliqué sur les bâtiments du lycée. Il a dans le même temps installé une couverture métallique pour protéger la sculpture des ruissellements. Après deux échecs en première instance et en appel, la chambre criminelle de la Cour de cassation a finalement donné raison au sculpteur Marcel Petit et retenu l’existence d’un délit de contrefaçon à l’encontre de l’architecte Philippe Vincent. Si la violation du droit moral de l’auteur était patente (l’impression d’ensemble de l’œuvre recherchée par le sculpteur ayant disparu suite aux modifications), cette altération constituait-elle une nouvelle reproduction, représentation ou diffusion de l’œuvre, qui sont les éléments matériels indispensables pour établir le délit de contrefaçon ?

La sculpture à l’affiche
Les juges, et c'est toute l'importance de cette décision de la cour suprême, ont répondu par l'affirmative. Ils ont considéré qu’une nouvelle représentation de l’œuvre est réalisée par sa communication au public sous une forme altérée ou modifiée. Si l’artiste a persisté dans une poursuite au plan pénal (d’ordinaire, les auteurs s’en tiennent à l’obtention de dommages-intérêts sans poursuivre pénalement le contrefacteur), c’est que, plus que d’un caprice, il s’agissait pour lui de saisir l’occasion d’établir un précédent. On peut déduire de cette décision de la chambre criminelle que si toute altération d’une œuvre sans l’avis de l’auteur viole son droit moral (sous réserve cependant qu'elle soit perceptible même pour un non-initié), encore faut-il que cette altération soit publique pour constituer le délit de contrefaçon au plan pénal. Ainsi, l’altération d’une œuvre exposée dans un cercle strictement privé ne pourra être sanctionnée qu’au plan civil. L’élément matériel du délit (nouvelle communication au public) n’étant pas établi, elle ne pourra donner lieu, au mieux, qu’à l’attribution de dommages-intérêts. Le règlement définitif du litige incombera à la Cour d'appel de Paris.


  Arnaud de Senilhes / Yann Queinnec
Landwell & Associés - Avocats
10.12.2002