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Politique culturelle

Pierre Assouline, journaliste et écrivain

«La passion compulsive des collectionneurs m’intrigue beaucoup, je pense, parmi nos contemporains, à Pierre Le-Tan, à Pierre Bérès ou à Philippe Zoumérof.»

Mardi 17 décembre. Depuis cinq ou six ans, j’enseigne à Sciences Po la lecture, c’est-à-dire le décryptage de signes. Une fois par an, je change les règles du jeu : au lieu d’un texte, je donne à lire un tableau, généralement L’Olympia de Manet. Puis j’emmène mes étudiants décrypter un lieu et, dans ce cas, j’ai un faible pour le Musée Nissim de Camondo. La façade, l’agencement des pièces, tout cela peut se lire comme un livre…

Mercredi 18 décembre. Si j’ai le temps, j’irai au Musée d’Orsay revoir l’exposition «Manet-Vélasquez». Je procède toujours de la sorte. J’effectue une reconnaissance puis je reviens pour voir un tableau ou deux. C’est une belle exposition, intelligemment scénographiée. Je veux me pencher sur un Goya, de la série du Tres de Mayo, et sur un petit Degas d’une grande délicatesse. En ce moment, j’écris un roman, qui n’a rien à voir avec la peinture mais il n’est pas impossible qu’elle y fasse une apparition. Un jour, j’aimerais raconter la vie d’un tableau, par exemple Job raillé par sa femme, au Musée d’Épinal. Que se passe-t-il devant, toute la journée ?

Jeudi 19 décembre. Le Cercle Interallié m’a proposé de faire une conférence le 23 janvier sur l’art des marchands, de Durand-Ruel à Kahnweiler. Je commence à prendre des notes. J’ai passé plusieurs années à écrire ma biographie de Durand-Ruel. À la différence de ce qui s’était passé avec Kahnweiler, il n’y avait plus de témoins à interroger puisqu’il est mort en 1922. Je n’ai pas d’autre projet précis dans ce domaine. Mais j’aimerais beaucoup traiter de Wildenstein, qui était un grand collectionneur. Ou des Rothschild, mais c’est là le travail d’une vie ! La passion compulsive des collectionneurs m’intrigue beaucoup, je pense, parmi nos contemporains, à Pierre Le-Tan, à Pierre Bérès ou à Philippe Zoumérof.

Vendredi 20 décembre. Je ferai un saut à Artcurial, que je n’ai pas encore vu. Ce qui me ravit, c’est de trouver, au cœur des Champs-Elysées, qui sont le temple de la bouffe et de la fringue, deux excellentes librairies, celle d’Artcurial et celle du théâtre du Rond-Point.

Samedi 21 décembre. Je vais passer le week-end à Londres. J’y ai des attaches familiales (ma belle-famille est anglaise) et je me souviens toujours avec émotion d’un hiver passé à effectuer des recherches aux instituts Warburg et Courtauld, quand j’écrivais ma biographie de Kahnweiler. On y trouve une masse impressionnante d’informations, des ouvrages, bien sûr, mais aussi de très nombreuses thèses. À Londres, j’ai un circuit de pélerinage bien défini. Je vais d’abord à Piccadilly, pour les expositions à la Royal Academy mais aussi pour le grand magasin Lillywhites. J’y achète mes tenues de jeu de paume. Je pratique ce sport, dont il ne reste plus qu’une salle à Paris alors qu’il y en avait deux cent cinquante à la Révolution ! Et tout le matériel - notamment les raquettes, fabriquées à Cambridge - vient d’Angleterre. Ce qui est amusant, c’est que les règles n’ont pas été publiées depuis un demi-siècle. Chaque fois qu’il y a un litige, il faut se plonger dans les archives ! La fédération a accepté de les republier à condition qu’elles soient préfacées par un écrivain. C’est le travail qui m’incombe…


 Rafael Pic
Propos recueillis par Rafael Pic
16.12.2002