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Musées

Robert Dulau, conservateur du patrimoine

Le responsable des peintures murales à la Cité de l’architecture présente une remarquable image de la Genèse, datant du XVe siècle.


© Photo Dominique Delaunay.
Un jardin, un jardin parfaitement clos que protège une balustrade ajourée en forme de quadrilobes. Le jardin d’Eden.
C’est l’instant décisif où le temps bascule où l’histoire entière vacille avant de s’inscrire dans sa longue durée. L’imminence d’un choix qui décide de la vie. Demeurer dans le lieu de délices ou s’exposer à sa perte irrémédiable ! Eve se tient debout aux côtés de l’arbre. Le serpent tentateur, le serpent séducteur à visage de femme s’enroule au creux de l’arbre : ce pommier dit «l’arbre de la connaissance». Mais le désir de savoir toujours davantage, le savoir qui harcèle ne peut se résoudre qu’en damnation. L’ange, le chérubin expulse le couple, les menaçant de son glaive. Autre plan. La sortie d’Adam du paradis. Il descend le premier les marches d’une sorte de tempietto. Limites et franchissement, mais de ce côté-ci, Adam gagne la terre de la désillusion. Autre plan. Adam, géant agenouillé sur un bout de colline, entouré d’un troupeau déjà domestiqué, se repent les mains jointes. Il s’adresse à Dieu, mais c’est un Dieu lointain confiné dans les nuées et qui contemple, sans regarder sa créature, toute la création. En arrière-plan des scènes évoquées, la ligne douce d’un paysage et de son ciel.

Des scènes qui se déroulent en spirale...
Cette image est une reproduction, réalisée par M. Francolin en 1955 pour le Musée des monuments français, d’une peinture de la fin du XVe siècle du château de Dissay, dans la Vienne. À travers cette scénographie, il s’agit encore d’exprimer par la couleur et par l’image la volonté divine. Car, ici, l’essentiel demeure toujours la référence au texte fondateur, à l’Ancien Testament que l’image ne fait qu’illustrer. À la fin du XVe siècle, dans le centre de la France, les procédés contemporains liés à la représentation de l’espace ne sont pas encore adoptés. L’usage de la perspective, d’un seul point de fuite, la notion d’échelle, à l’instar des siècles précédents, ne se justifient pas véritablement. Ici, nul souci n’est apporté au vraisemblable, excepté le soin donné par l’artiste aux traits du visage d’Adam. Toutes les séquences de l’épisode de la chute doivent être lues, vues d’un coup seul, d’une façon synoptique comme s’il nous était donné d’assister à toutes les phases de l’événement tragique et primordial qui nous a inscrits dans l’histoire. Défilent simultanément, ou plutôt s’enroulent en spirale, toutes les scènes de la tentation jusqu’à l’expulsion du jardin par le chérubin, de l’expression de la pénibilité du travail jusqu’à la repentance d’Adam. Se fait jour, cependant, dans cette œuvre anonyme, une première concession aux influences extérieures. Le paysage, ou plus précisément l’annonce du paysage, s’exprime par la marque du retrait, la figuration des collines, par un second lointain, et puis par un ciel nuageux, un ciel déjà atmosphérique. L’espace illusionniste, la Renaissance le mettra en place progressivement. Cette conception va prédominer pour être adoptée dans toute l’Europe. Mais dans cette peinture murale, la filiation demeure encore toute médiévale. Le temps est figé. Arrêts sur des images sur les «premiers instants de l’humanité».


 Robert Dulau
23.12.2002