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Expositions

James Nachtwey, objectif compassion

Le célèbre envoyé de Time bénéficie d’une rétrospective à la Bibliothèque nationale : n’est-il qu’un simple photographe de guerre ?


Tchétchénie. Orphelin dans les ruines
de Grozny
, 1996.
© James Nachtwey.
PARIS. Nachtwey est bien là où il y a des guerres. Sous contrat avec le magazine Time, il est même souvent au premier rang, l’un des premiers arrivés. Toutefois, si l’on porte un regard sur l’ensemble de son travail, il apparaît comme un photographe essentiellement préoccupé par le sort des victimes de la guerre, quelles qu’elles soient. Et la plupart du temps, ce sont des civils : les soldats apparaissent dans ses images au second plan, ou bien ils figurent dans ses reportages du début. Après le Vietnam, où les photographes ont été très nombreux à travailler, il semblerait que la guerre elle-même ne soit plus très visible, lisible. Deux raisons à cela : les armées ne souhaitent guère voir à leurs côtés des photographes qui suivent leurs opérations, et ces mêmes opérations sont parfois trop complexes ou trop rapides pour être clairement représentées. De ce fait, l’émotion, la compassion - principaux leviers du reporter -, ne peuvent naître que d’images prises du côté des victimes. En d’autres termes, l’engagement - si engagement il y a - ne peut s’attacher qu’aux conséquences des conflits sur le plan humain. James Nachtwey se place de toute évidence de ce côté, et l’efficacité de son discours visuel se construit, s’affirme dans son rapport avec ces êtres humains. Un rapport complexe, tourmenté, parsemé de doutes, comme il le confie dans les extraits d’un film documentaire qui a été montré dernièrement sur Arte et figurant à l’entrée de l’exposition. Et à l’entendre, il apparaît qu’il ne sort pas indemne de son expérience.


Que peut la photographie ?
À l’instar de ces écrivains français engagés et qui, il n’y a pas si longtemps, se demandaient : que peut la littérature? Nachtwey, lui, espère honnêtement trouver une logique dans le fait de montrer systématiquement la douleur, la mort, non seulement dans des pays qui connaissent la guerre, mais aussi dans ceux qui souffrent de l’abandon, de l’oubli, comme sur le continent africain, voire aux portes de l’Europe. C’est ainsi que le visiteur de l’exposition sera troublé, dérangé, par la frontalité et la proximité de son regard, le caractère extrêmement radical de sa démarche. Nachtwey ne s’encombre pas de détours. Il va droit au but. Ce qui n’exclut pas l’esthétique. Il prend le temps de cadrer, de composer, et l’expérience aidant, ses images sont de plus en plus solides, équilibrées, oserait-on dire inventives. La lumière est juste, les noirs et blancs parfaitement répartis, les matières formidablement bien rendues. De sorte que la qualité de la forme sert le discours ; même si certains supporteront mal l’idée d’associer la beauté à la souffrance, de témoigner de tels événements dans un lieu muséal.


 Gabriel Bauret
11.01.2003