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Expositions

Mai 68 à l’autrichienne

La redécouverte des mouvements avant-gardistes viennois de l’après-guerre passe par un groupe original : celui des Wirklichkeiten.


Wolfgang Herzig, Cocktail,
1968, huile sur toile.
© Peter Pongratz, VBK Wien, 2002.
VIENNE. On y entre comme dans une maison pour enfants. Les murs sont bariolés de couleurs arc-en-ciel, les sols ondulés, des arbres sortent de certaines fenêtres. La maison-musée de Friedrich Hundertwasser fait le bonheur des Viennois comme des touristes. Consacrée essentiellement à la gloire de l'artiste, mort en 2000, elle propose actuellement une exposition d'artistes qui, en leur temps, passèrent pour révolutionnaires. Car les Wirklichkeiten (c'est le nom de leur groupe) sont les seuls soixante-huitards que l’Autriche a produits. Au mois de mai de cette fameuse année, six jeunes artistes (tous nés sous le régime nazi...) exposent ensemble dans la grande salle de la Sécession, à Vienne. Montrent-ils du Pop Art, de l‘abstraction, de l‘art conceptuel, ou du Performing Art, comme leurs collègues de Paris ou de New York ? Ce qu’ils accrochent aux murs impeccablement blancs du superbe bâtiment Jugenstill de la capitale sont de très classiques peintures à l‘huile, sur toile, bravement entourées de cadres en bois.

La réalité dans toutes ses horreurs
Classiques, en tous cas dans leur forme. Car leurs dessins, assurément, ne cherchent en rien à caresser le bourgeois dans le sens de ses poils. On y voit des corps nus à foison (Robert Zeppel-Sperl), abondamment ensanglantés (Wolfgang Herzig), tripes et organes génitaux exposés à tous les vents (Franz Ringel, Peter Pongraz). Ce que l‘on croit être de gentils paysages grouillent en fait d‘insectes monstrueux (Kurt Kocherscheidt). Quant à la seule femme du groupe, Martha Jungwirth, elle s‘acharne à coup de crayon noir à reproduire à l‘infini la touffe d‘un sexe féminin. Un critique de l‘époque trouvera un mot fort pudique, mais sibyllin, pour décrire ces «horreurs» : «réalités» (Wirklichkeiten, en allemand). Le groupe - en fait, plutôt un regroupement de bons copains - fonctionnera quelques années. Tous continuent encore à produire des œuvres parfois très différentes, sauf Kurt Kocherscheidt, mort en 1992. Aujourd'hui, ces œuvres ont assurément perdu de leur violence critique. La présentation de cette page d‘histoire de l’art autrichien (les œuvres exposées se situent entre 1968 et 1975) dans la maison-musée de l’artiste viennois le plus consensuel qui soit prouve encore une fois la formidable capacité de la société autrichienne à neutraliser toute forme de contestation.


 Pierre Daum
23.01.2003