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Patrimoine

Les ivoires de Begram : une courtisane (2e siècle), volée au musée de Kaboul,  © Philippe Flandrin


Musée de Kaboul : chronique d'une mort annoncée

Fondé en 1919, le musée national de Kaboul a longtemps été un sanctuaire de l'archéologie d'Asie Centrale. Philippe Flandrin, auteur d'un ouvrage sur le patrimoine afghan, nous relate sa fin funeste.

1919-1979 : les soixante premières années du musée sont relativement calmes.
Philippe Flandrin.
Le musée national de Kaboul a été fondé en 1919 pour abriter la collection des rois d'Afghanistan. Il a longtemps suivi des méthodes françaises de recherche et de classement. L'année 1979 marque un bouleversement. Le contexte politique est tendu en raison des rébellions contre le gouvernement communiste. Les Soviétiques sont déjà présents - ils sont là depuis les années 50 - mais il n'y a pas plus de 2000 soldats russes. En avril 1979, le centre de commandement des forces armées s'installe à 300 mètres du musée. Le quartier est déclaré zone militaire. La décision est prise de déménager les collections dans un autre quartier, dans une villa du frère du président Daoud. On octroie trois jours pour l'opération : du délire, même si l'on a ensuite prolongé le délai de trois semaines. Dans la précipitation, le vase dit du phare d'Alexandrie, portant l'unique représentation connue du phare d'Alexandrie, se brise. Comme souvent en pareille situation, ce sont les plus belles pièces qui se cassent…

Fin 1980, c'est l'intervention soviétique…
Philippe Flandrin.
Oui. Une commissions de l'académie des Sciences d'URSS est envoyée sur place. Elle est chargée de refondre l'organisation muséale, en la calquant sur le modèle soviétique. Toute la collection revient au musée à l'exception des ors de Tillya Tepe lesquels, après avoir passé quelque temps dans les coffres de l'Afghanistan Bank, sont placés dans le pavillon de Koti Baghchah, près de l'ancien palais du gouverneur. Le musée retrouve un fonctionnement à peu près normal. Kaboul est calme, les combats ne l'affectent pas car ils se déroulent à l'extérieur de la ville. En revanche, les ors ne sont montrés qu'à des personnalités importantes. Les Soviétiques auraient certainement aimé faire une grande exposition internationale, à l'Hermitage par exemple. Ce sont les communistes afghans, leurs hommes-liges, qui s'y sont obstinément opposés. Ils craignaient que l'opposition ne les accuse de brader les trésors nationaux.

Autre tournant : 1993
Philippe Flandrin.
On entre alors dans une phase de pillage systématique. C'est un cambriolage très organisé avec camions, présence d'experts, qui vont chercher les mémoires de la DAFA (Délégation Archéologique Française en Afghanistan) pour sélectionner les meilleures pièces. Les pièces partent ensuite vers le Pakistan. Comme le territoire est morcelé, il faut donner à chaque barrage. Parfois des pièces peu importantes, d'autres fois des trésors. L'ayatollah Gulbudin aurait ainsi récupéré le fameux poignard qui avait servi à assassiner le résident anglais en 1842. Un poignard qui n'avait jamais été lavé et qui était exposé avec son sang… Une fois passé la frontière, à Peshawar, à Lahore, à Islamabad, les dealers occidentaux sont déjà sur place pour les opérations d'achat-vente. 1992-96 a constitué la période noire du musée. Après cela, il n'y reste plus grand chose.

Vous y retournez pourtant en juin 2000, avec le photographe Pascal Maître.
Philppe Flandrin.
Il restait tout de même quelques pièces importantes, plus difficiles à transporter, comme la statue tronquée de Kanichka. Nous avons pu accéder aux réserves de céramique. Au mois d'août, le musée est inauguré, pour conclure des années de restauration, en présence de 150 mollahs. En voyant les collections, les représentations humaines, ils se disent horrifiés. Le musée est de nouveau fermé au bout de quelques jours. En février 2001, les « durs » entrent dans le musée et le saccagent. La statue de Kanichka est détruite…


 Rafael Pic
04.10.2001