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Expositions

L’art comme cri

Du Greco à Nauman, la Fondation Beyeler tente de retracer les méandres de l’expressionnisme en peinture.


Ernst Ludwig Kirchner Seated Girl,
1910-20 © the Minneapolis Institute
of Arts, the John R. Van Derlip Fund
BALE. L’aventure est des plus risquées : prendre comme fil rouge d’une exposition « l’appel de l’âme contre la marche mécanique de la vie » et baptiser cela « expressif », n’était-ce pas risquer la confusion, assaisonnée de beaucoup de subjectif quant au choix des artistes ? De fait, la nouvelle exposition de la fondation Beyeler intéresse autant qu’elle irrite. Autour d’un noyau consacré à l’expressionnisme allemand du début du XXe siècle, forcément somptueux, se déploient les ramifications d’une exploration de l’âme humaine en tourment et en révolte face à tout code social. Greco incarnerait les premiers balbutiements tandis que Van Gogh, Gauguin, Munch, Ensor prépareraient les voies des fauves français et des expressionnistes allemands. Fort bien, mais pourquoi Greco et pas Delacroix ou Friedrich comme sources possibles? Comme le fait remarquer Donald Kuspit dans le catalogue de l’exposition, les romantiques furent les premiers à dresser leur œuvre comme manifestation véhémente d’une âme en tourment face à la société. Et puis, trouver au milieu de cela une gravure de Picasso ou un portrait de Matisse face aux scènes de guerre gravées de Dix et Grosz laisse éclater l’arbitraire de certains choix. En effet, cette volonté de rompre avec tout code conventionnel, de redécouvrir une primitive incandescence est commune à tant d’artistes… C’est ainsi que nous retrouvons, après les Viennois Schiele et Kokoschka, Beckmann et les artistes de la Nouvelle Objectivité. Pourtant, ceux-ci s’opposèrent à l’expressionnisme régnant. Les présenter à sa suite ne revient-il pas à les enrôler sous une bannière qu’ils combattirent ? De même, on peut se demander si la présence de Ersnt face à Soutine, Klee et Picasso, de Dubuffet face à de Kooning, Pollock et Asger Jorn relève du dialogue ou de la mêlée. Et malgré certains sujets dramatiques, Warhol avait-il ici sa place, lui le roi pop de la mécanisation, l’icône d’une société de consommation? La suite convainc davantage, avec l’évocation des néo-expressionnistes, les développements récents d’une Allemagne en mal d’histoire : Baselitz, Lüpertz, Kiefer, Fettting ou Kippenberger. Mais pourquoi Louise Bourgeois au milieu de cela et pas les actionnistes viennois qui travaillèrent aussi sur le corps et les angoisses, les tortures infligées ? On l’aura compris, de tels parti-pris sont hautement subjectifs mais aussi stimulants car ils forcent le regard à un décloisonnement. Et croiser Picasso avec Lüpertz ou Bacon, Clemente avec Nauman donne lieu à de savoureux dialogues. Revoir l’expressionnisme avec les yeux du XXe siècle, dans une vision élargie : un pari périlleux pour une exposition qui a les défauts de ses audaces.


 Emmanuelle Amiot
19.05.2003