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Patrimoine

Cafard, mon frère

Peut-on immoler des cafards ou des poissons rouges au nom de l’art? La polémique fait fureur.

NEW YORK. Une exposition dérangeante vient de s’ouvrir chez Rare, une galerie de Soho. L’artiste Catherine Chalmers y présente des vidéos et des photographies géantes de cafards. Poursuivant le cycle « American Cockroach » entamé il y a quelques années, elle met en scène ces blattes comme s’il s’agissait d’êtres humains. « Ce sont des émigrants (ils viennent d’Afrique), ils sont très anciens, ils sont omnivores. Pourquoi nous dégoûtent-ils ? Peut-être parce qu’ils nous ressemblent » explique-t-elle au New York Times. Après «Imposteurs» (les cafards se déguisaient en hommes) et «Invasions» (les cafards s’installaient dans nos maisons, nos restaurants), le troisième volet de la série est intitulé «Exécutions». Les insectes y subissent des pendaisons en série, sont brûlés sur un bûcher, gazés ou électrocutés sur une chaise. La manifestation a d’ores et déjà suscité la réprobation de certaines organisations de défense des animaux. Pour les rassurer, Catherine Chalmers a certifié que tous ces cafards martyrs étaient déjà morts avant l’exécution et qu’ils n’ont donc pas souffert. L’artiste Marco Evaristi n’a pas pu assurer un traitement aussi digne à ses poissons rouges. En février 2000, au musée de Kolding, au Danemark, il les avait exposés dans des mixeurs, laissant aux visiteurs l’opportunité d’appuyer sur le «bouton de la mort» pour les réduire en bouillie. Deux poissons rouges avaient succombé. Refusant d’obéir à la police qui les invitait à couper le courant, le directeur du musée et l’artiste ont dû s’acquitter d’une amende de 269 euros. Leur cas est jugé par un tribunal local, qui doit se prononcer le 19 mai. Avec tout le respect dû aux cafards, leur condamnation signifierait un recul de la liberté de création des artistes. Qu’ils se rassurent : une blue chip de Wall Street comme Kentucky Fried Chicken connaît les mêmes affres. Pour s’attirer les bonnes grâces de la puissante PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), les directeurs de l’entreprise ont accepté d’agrandir les boxes des poulets de batterie. Ils ont même promis d’y installer quelques activités ludiques pour que les heures de captivité passent plus vite. Nous vivons dans un monde de brutes. Un reliquat d’humanité aurait imposé que l’on offre aux cafards la dernière cigarette réglementaire.


 Rafael Pic
19.05.2003