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Un regard autodidacte

Avant même son ouverture, le Musée du Quai Branly rend hommage à l'un de ses inventeurs.


Les premières pages du livre suscitent quelque inquiétude. Devant l'objectif d'Henri Cartier-Bresson, Jacques Kerchache et son épouse sont portés en triomphe par leurs amis. Plus loin, Jacques Chirac célèbre la mémoire de son ami qui a conçu le Pavillon des Sessions au Louvre. Commandité par le président du Musée du Quai Branly, Stéphane Martin, cet ouvrage serait-il uniquement un hommage officiel, rendu par une «institution à celui qui en fut l'inspirateur et le premier artisan» ? Heureusement, l'écueil est évité, grâce à la formule choisie. Les photographies de l'homme, en baroudeur armé accompagné d'Africains portant ses malles ou en muséographe pointilleux rajustant une vitrine, et celles des œuvres de sa collection alternent avec une suite de courtes interviews.

Ses proches, les hommes de musées avec lesquels il a travaillé ou les artistes contemporains qu'il a fréquenté retracent le parcours singulier de cet autodidacte. Celui de l'un des plus jeunes galeristes de l'histoire qui, à l'âge de seize ans, se voit confier la galerie d'Iris Clert qui essuie alors des revers financiers. Celui d'un «French Indiana Jones» qui parcourt le monde en solitaire dans les années 1960 et 1970, rapportant de ces voyages les pièces qu'il propose à des clients tels que les Pompidou ou Sadruddin Aga Khan. Celui d'un commissaire d'exposition qui, dès 1980, part à la conquête des musées pour y imposer sa perception esthétique et émotive des arts premiers comme au Pavillon des Sessions du Louvre, sa dernière grande œuvre.

Au delà de la «légende», chaque intervenant dévoile ses souvenirs personnels. Le commissaire d'exposition Jean de Loisy raconte comment Jacques Kerchache animait une soirée en sortant de petites sculptures de danseuses indiennes et en demandant à chacun, celles qu'ils trouvaient les plus belles. Germain Viatte du Musée du Quai Branly rappelle l'exigence d'un homme que rien ne pouvait faire démordre de la conception initiale qu'il avait d'une exposition. Sam Szafran se souvient de la manière dont son ami dénichait systématiquement une œuvre répondant aux questions qu'il rencontrait dans sa peinture. Mais tous se rejoignent sur la qualité d'un regard, capable d'isoler les pièces d'exception et d'en révéler toute la dimension dramatique.


 Zoé Blumenfeld
20.05.2003