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Marché

Basquiat : les prix sont allés trop loin ou pas assez…

Des œuvres de plus en plus rares, une cote en hausse constante. L’avis d’Enrico Navarra, directeur de la galerie Enrico Navarra


Jean-Michel Basquiat, Profit I, 1982,
vendu 5 487 000 € le 14 mai 2002 par
Christie's New York
Quelle est l’évolution de la cote de Basquiat ?
Basquiat, dès les années 1980, est en moyenne plus cher que ses contemporains : il faut compter de 25 000 à 60 000 $ pour une peinture, de 200 000 à 600 000$ une décennie plus tard. En 1994-95, les prix chutent de moitié avec la crise du marché de l’ar, mais ce phénomène est de courte durée. La cote de l’artiste remonte après 1995 pour revenir à une fourchette de prix entre 500 000 et 1 000 000$. Plusieurs records ont été réalisés ces dernières années : par exemple, lors de la vente chez Chritie’s, en novembre 1998, d’un Autoportrait de 1982, vendu pour le prix de 2 597 000€, ou de celle d’un tableau intitulé Profit I, de 1982, qui a atteint le prix de 5 487 000$€ chez Christie’s, en mai 2002.

Y a-t-il, aujourd’hui, une période ou un type d’œuvres plus recherchés ?
Non, en fait : tout est recherché. Il y a même plus de demandes que d’œuvres disponibles sur le marché. Au total, Basquiat a peint 800 à 900 tableaux et réalisé environ 1 500 dessins. La plupart sont déjà dans des collections privées ou publiques. Autant dire que l’œuvre n’est pas inépuisable. Les Basquiat de très bonne qualité sont des pièces de plus en plus rares sur le marché de l’art, tous pays confondus. Les dessins sont eux aussi très chers car Basquiat était un très bon dessinateur. Bien sûr, l’achat dépend ensuite du budget dont vous disposez et de la qualité de l’œuvre. En fait, la cote de l’artiste est allée trop loin ou pas assez. Basquiat, aux Etats-Unis, est intégré dans la continuité des grandes figures qui ont marqué l’art américain du XXe siècle, après Lichtenstein, Rothko ou Wharol. Face à ces grands, la cote de Basquiat n’est pas assez élevée ; elle l’est trop , par contre, si l’on exclut le peintre de cette grande lignée. En clair, nous sommes aujourd’hui dans un entre-deux : Basquiat est trop cher ou pas assez.

Dans ces conditions, est-ce le moment d’acheter ?
C’est effectivement un pari sur l’avenir. Cependant, le marché de l’art américain est peu sujet aux fluctuations des phénomènes de mode, car l’histoire de l’art américain est encore assez courte : le marché de l’art ne peut se réfugier dans des périodes anciennes. Basquiat est déjà situé aux côtés des grands artistes américains du XXe siècle et il y a peu de chances pour que cette histoire soit complètement révisée. Il y aurait donc peu de risques dans la durée. Mais quelle que soit l’issue du marché de Basquiat, il y a plus de collectionneurs que de tableaux disponibles, rappelons-le. En vente publique, peu circulent : de trois à huit selon les années, toutes maisons de vente confondues. Cette année, plusieurs œuvres sont présentées à Art Basel chez Jan Krugier et circuleront par la suite, en France notamment, au Musée Maillol pour l’exposition de l’été. C’est là un événement exceptionnel.

Le graffiti en majesté

La légende de Basquiat, enfant métisse né à Brooklyn en 1960, se fonde sur quelques faits qui sont devenus comme la trame d’une nouvelle Légende dorée. L’enfant-taggeur des rues de Soho, l’artiste incandescent attiré par les drogues dures, l’ami de Wharol forment autant de substituts de carton pâte qui masquent la complexité de l’homme. Ce fils d’un père d’origine haïtienne et d’une mère portoricaine connaît une adolescence partagée entre la tranquillité d’une vie aisée et cultivée et l’effervescence des rues de New-York où il décide de vivre seul, à partir de 1976. Les années de squat et de débrouille, en compagnie de Diaz, le compagnon et le complice des tags signés Samo, - same old shit , toujours la même …chose -! -sont décisives pour son art. La peinture de Basquiat demeura marquée par la pratique du graffiti, malgré les nombreuses références picturales, contemporaines et anciennes, qui viendront nourrir le corps de sa peinture. Samo, incarnation bicéphale , se fait remarquer dès 1978 par la qualité graphique et poétique de ses tags mais c’est après 1980 que s’ouvre véritablement le chemin vers la gloire. Après sa rupture avec Diaz en 1979, le jeune artiste expose dans le Bronx avec Jenny Holzer, Kiki Smith et Kenny Sharf. La même année, la manifestation « New York / New Wave » le conduit à exposer auprès de Keith haring, Andy Wharol et Robert Mapplethorpe. Les deux premiers joueront un rôle essentiel, tant dans sa vie que dans sa carrière. Wharol, l’ami de toujours, exposera et travaillera en collaboration avec lui. Les trois marchands qui le distinguent alors sont tout aussi déterminants dans ce destin : Annina Nosei, Bruno Bischofberger et Emilio Mazzoli incarnent autant d’étapes vers le succès. Parcours bref mais fulgurant dont l’un des sommets est certainement en 1984 la participation à l’exposition « An International Survey of recent painting » pour la réouverture du MOMA de New-York.
Avant même la mort de l’artiste en 1988, sa cote est à l’image de cette renommée : Basquiat est vendu plus cher que la plupart de ses contemporains et ses prix ne cessent de monter.. 49% des ventes aux enchères concernent les dessins, et 48% la peinture ; 1% lasculpture et 2% l’estampe Aucune période ni aucune technique n’est particulièrement privilégiée : Le marché est essentiellement anglo-saxon,avec 93% du montant des ventes, dont 75 aux Etats-Unis. La France constitue, loin derrière, le troisième marché. L’indice des prix continue sa progression constante entre 1998 et 2003, . En dépit du petit nombre d’œuvres échangées - une cinquantaine tous supports confondus les meilleures années - le montant des ventes aux enchères demeure élevé, de l’ordre de 15 millions € par an Hors records, la majorité des tableaux s’échange entre 500 000 et 1 Million €, 50 et 100 000 pour les dessins. Mais il faut les trouver…


 Emmanuelle Amiot
23.06.2003