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Patrimoine

Tarot sur le Vieux Port

Avant de se réfugier à New York, le groupe surréaliste a passé une brève saison à Marseille. Le Musée Cantini se penche sur cet hiver 1940-1941.


André Breton, le jeu de Marseille,
projet de carte, 1941
© Musée Cantini
MARSEILLE. Nul ne saura jamais si André Breton a pu présager un jour que sa collection se disperserait dans le tumulte médiatique des derniers mois. Toujours est-il que pendant leur exil marseillais les surréalistes s’étaient eux-mêmes amusés à organiser une vente aux enchères… Les lots étaient des toiles peintes par les membres du groupe et le rôle de commissaire-priseur fut tenu par le comédien Sylvain Itkine. Troublante pratique divinatoire ou hasard objectif ? Repliés dans la Villa Air-Bel, une vaste demeure du quartier de la Pomme devenue le repaire du Centre américain de secours, organisme chargé de faire passer aux Etats-Unis des intellectuels et des hommes politiques menacés par le pouvoir pétainiste, les surréalistes se seront surtout illustrés pendant cette période en revisitant le traditionnel jeu de tarots. Ce Jeu de Marseille a été inventé et dessiné par Victor Brauner, André Breton, Oscar Dominguez, Max Ernst, Jacques Hérold, Wilfredo Lam, Jacqueline Lamba et André Masson. Il revient aujourd’hui dans sa ville d’origine grâce à une donation d’Aube Elléouët-Breton - qui passa avec ses parents cet hiver marseillais - et de sa fille Oona, en souvenir de Varian Fry, le responsable du Centre américain de secours.

Père Ubu en joker
Si l’ancêtre du tarot, le jeu de Naïb apparaît à Marseille aux alentours de 1380, le terme « tarocchi » n’est utilisé qu’au siècle suivant en Italie du Nord. Mais ce n’est qu’au XVIIe siècle que Marseille devient un centre de production important et vers 1740 que le tarot français s’impose comme le seul modèle international. Le jeu d’André Breton et de ses amis maintient les trente-deux lames canoniques, si ce n’est qu’elles rendent hommages aux « pères » du mouvement : la famille « Amour » comporte Baudelaire et Novalis, « Rêve », Lautréamont et Freud, la famille « Révolution », Sade, alors que le joker n’est autre que le Père Ubu d’Alfred Jarry. Marcel Duchamp qui a caché non loin du Vieux Port, à Sanary, les morceaux de sa célèbre œuvre viendra suivre les progrès de ce « Jeu de Marseille », qui se présentera comme une sorte de boîte en valise du surréalisme, toute prête à être emmenée aux Etats-Unis. Ce qui sera chose faite le 25 mars 1941 : Breton, sa femme et sa fille embarquent pour la Martinique, d’où ils rallieront New York, à bord d’un bateau dans lequel se trouvait aussi un certain Claude Lévi-Strauss.


 Frédéric Maufras
05.07.2003