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Patrimoine

Le jardinage, art contemporain ?

La création en matière de jardinage est en pleine effervescence. Festivals ou expositions se transforment en autant de terrains d’expérimentation.


Bio Weeds, par les Italiens
Paola Falcone, Enrico Tommaso,
Massimo Lunardon et Riccardo Mazza
© D. R.
Jardins en fleurs, jardins potagers ou botaniques, jardins publics ou privés, à la française, à l’anglaise ou à la japonaise, les parcs et jardins semblent avoir le vent en poupe ces dix dernières années. Une étude de l’agence française de l’ingénierie touristique (AFIT) portant sur 405 jardins français montre qu’un tiers de ceux-ci ont été créés depuis 1990. Cette année, le ministère de la Culture a décidé de soutenir les mains vertes en mettant en place des mesures nouvelles en faveur des parcs et jardins de France. On compte parmi celles-ci la restauration de soixante jardins privés et publics (avec une enveloppe de 9 millions €) et la création d’un Conseil national composé de différents ministères et d’acteurs privés pour mieux conseiller le ministre dans sa politique de restauration et de protection des espaces verts. La manifestation « Rendez-vous aux jardins », du 23 au 25 mai a été largement suivie : 600 000 visiteurs ont foulé les pelouses et allées de 929 jardins dans toute la France. A l’occasion, de superbes domaines comme celui du château de Villandry ou de Chenonceau ont reconstitué des labyrinthes d’ifs et organisé des visites nocturnes ou des visites guidées à travers des potagers centenaires et des hectares de fleurs.

Jardins et parcs sont aussi, depuis une vingtaine d’années, un terrain privilégié pour la création contemporaine. Sous l’impulsion des différents festivals – Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire, Festival des jardins de Métis à Reford Gardens au Québec, Festival des jardins temporaires de Berlin, Exposition internationale des jardins qui se tient tous les dix ans, dont cette année 2003, à Rostock – architectes, paysagistes et jardiniers se transforment en véritables artistes. « La conception des espaces dans lesquels nous vivons évolue constamment en réponse aux nouvelles technologies et aux changement culturels (….), le jardin n’est plus tant conçu comme une entité spatiale que comme un médium malléable se prêtant au commentaire culturel » écrit Jane Amidon dans son ouvrage Le jardin radical. Le concours du douzième festival de Chaumont-sur-Loire montre encore une fois combien les idées foisonnent. Autour du thème de la « mauvaise herbe », des architectes, des botanistes, des paysagistes, des plasticiens, des stylistes, mais aussi des musiciens et des scénographes de théâtre internationaux ont réalisé vingt-ssept créations contemporaines. « C’est la première fois que je travaille avec des horticulteurs» explique l’architecte Valérie Barrès qui souligne le prestige d’un tel concours. Avec l’aide d’un autre architecte et de deux horticulteurs, elle a construit « Prenez-en de la graine », trois espaces autour du thème de la plante colonisatrice, notamment la ronce, qui reprend ses droits. « Il faut penser à l’exposition au soleil, aux engrais, aux modes d’arrosage, aux espèces en fonction de leur temps de pousse et pouvoir tout anticiper, notamment les gelées d’avril qui nous ont beaucoup retardés ». Après un examen sur dossier, sur maquette et un entretien oral, l’équipe a reçu une parcelle de 300 m2 et un budget d’environ 15 000 € - malheureusement insuffisants - pour accomplir le projet. Pour la première fois, le Conservatoire de Chaumont-sur-Loire invite aussi des designers à présenter le mobilier de jardin dans le cadre de la « Quinzaine internationale du design de jardin ». En décidant de créer dix jardins contemporains dans les cinq ans à venir (voir encadré), le ministère entend lui aussi faire émerger de nouvelles personnalités et talents du monde du jardin. En, 1992, la reconnaissance du statut de métier d'art pour le jardinier en a constitué une première étape.

L’art du jardin séduit chaque jour davantage le grand public et devient une recette sûre dans l’édition et les grandes manifestations. Une exposition comme « Jardins planétaires », montée en 1999 à la Grande Halle de la Villette par Gilles Clément, a attiré près de cent mille visiteurs. Même engouement pour les labyrinthes éphémères de maïs qui sont «construits» chaque été en France. Les expositions d’art contemporain dans les jardins ou dans les parcs - du très parisien Luxembourg jusqu’au centre de Vassivière en Limousin ou au parc des Ecrins, qui fête ainsi son trentième anniversaire - sont devenus un « classique ». La monographie sur l’artiste Nils-Udo, qui intervient sur la nature de façon moins brutale que les tenants du Land Art, a été publiée à l’automne dernier chez Flammarion. Alors que certaines lui prédisaient un échec cuisant, elle a été un succès de librairie inattendu au point que d’autres éditeurs comme le Cercle d’Art se sont empressé d’exploiter le même filon. Jean-Pierre Coffe, le critique redouté, invite chaque année des plasticiens à investir son jardin dans le centre de la France. A Cancale, à Tours et à Paris, les chefs étoilés Olivier Roellinger, Jean Bardet et Alain Passard tirent une publicité efficace des l’utilisation médiatisée des produits de leur potager. Dans les domaines de la gastronomie et de la nature, les Français reconnaissent, comme le montrent des enquêtes récentes, que la transmission du savoir ne s’est pas correctement effectuée entre les générations. D’où une redécouverte simultanée du fourneau et des plates-bandes. Jardins et cuisine, même combat ?


 Anouchka Roggeman
08.07.2003