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Patrimoine

Balade en Art brut

La France regorge de monuments insolites, fabriqués par des autodidactes ingénieux et illuminés. Cet été, visitez les plus incroyables !


Les rochers de l'abbé Fouré,
à Rothéneuf, en Ille-et-Vilaine
© Françoise Monnin
L’Art brut ? Rien de plus « tendance » ! La foire que lui consacre New York depuis cinq ans bat son plein et Christie’s a, ce printemps, organisé la première vente publique spécialisée en la matière. L’Espagne (après la Suisse, la France, l’Autriche, l’Allemagne, les États-Unis et l’Italie) vient d’inaugurer un musée consacré aux peintures et aux sculptures brutes et jamais les visiteurs de l’architecture brute n’ont été aussi nombreux : 148 000, rien qu’au Palais du facteur Cheval, l’an dernier ! Certains Japonais n’hésitent même plus à faire le déplacement en avion spécial (Tokyo-Lyon). Premier monument d’art brut considéré comme « historique », classé ainsi par André Malraux en 1969, voilà un étrange château d’eau : un « Temple de la Nature », conçu par un facteur poète, entre 1879 et 1906. Des journaux, évoquant les pavillons exotiques de l’Exposition universelle de 1878, et des souvenirs d’un séjour en Algérie, comme source d’inspiration ; des pierres, des coquillages, du ciment et une brouette devenue mythique, pour le reste. Résultat ? Une façade de 26 mètres de long, truffée de niches abritant des statues, de colonnes anthropomorphes et de canaux, destinés à l’origine à ce que des fontaines ruissellent. Il y a la « Source de Vie », la « Source de Sagesse », la « Grotte Saint-Amédée »… Solitaire, c’est en parcourant quotidiennement 32 kilomètres à pieds que l’ancien boulanger devenu facteur ramassa des pierres aux formes étranges : la matière première de son Temple, rebaptisé « Palais » par un jeune poète.

La maison de Picassiette
Mouleur, balayeur, puis cantonnier, Raymond Isidore construit sa maison en 1930. Pour la décorer, il écume les salles de ventes et les décharges publiques, à la recherche de tessons. Il en fait des panneaux de mosaïques, qui couvrent les murs intérieurs puis extérieurs de sa demeure. Le sol du jardin est ensuite investi. En 1956, un lopin voisin, acquis, est également « habillé ». Épuisé à la tâche, l’artiste meurt en 1964, laissant un incroyable ensemble, longtemps méconnu. Combinaisons de panneaux, de bas-reliefs et de sculptures, il comprend également des objets, tels que le poste de radio, la machine à coudre, l’ensemble du mobilier. Les motifs composés, naïfs, figuratifs, combinent des éléments végétaux et animaux avec des reproductions de monuments et des figures de personnages sacrés. « Trône Bleu » ou « Tombeau de l’Esprit », que de trésors !

Les rochers de l’Abbé Fouré
L’Abbé Fouré avait des ancêtres contrebandiers ou corsaires. En 1893, mis à la retraite par les autorités catholiques, inquiétées par son trop grand enthousiasme, le voilà qui s’ennuie. Il sculpte sa canne, sa chaise, son lit, puis s’attaque à la falaise voisine. Surgissent alors, au cours de vingt-cinq ans de labeur, 400 personnages, inspirés par les légendes locales. Il y a Durand dit Gargantua, commandant de la flotte des Rothéneuf, le capitaine La Bigne, tous leurs hommes et tous les ouvriers qui construisaient leurs caravelles. Il y a aussi Lucifer, un fakir, un égyptien, des moines, des cadavres, des monstres… Battue par l’océan, la falaise s’use petit à petit. Les sculptures s’arrondissent. Un descendant éloigné de l’abbé a clôturé le site. Contre une poignée de centimes d’euros, il vous en confie la clef.


 Françoise Monnin
16.07.2003