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Expositions

Sandro Botticelli, Saint Augustin (vers 1480), fresque transposée, Florence, église d'Ognissanti


Filippino Lippi, Etude de tête de jeune homme (vers 1481-82), dessin à la pointe de métal, rehauts de blanc sur papier vert préparé, Rome, Istituto nazionale per la Grafica


Sandro Botticelli, Pallas et le Centaure (vers 1482), détrempe sur toile, Florence, Offices.


Botticelli se prête au marketing

La rétrospective tant annoncée du Musée du Luxembourg ne présente qu'une vingtaine de tableaux de Sandro Botticelli : une sélection à lire comme une introduction au peintre florentin.

PARIS. C'est un battage médiatique bien orchestré qui entoure désormais les expositions au Musée du Luxembourg. La rétrospective Botticelli ne déroge pas à la règle : campagne d'affichage spectaculaire, multiplication des hors-série, couverture télévisée abondante et inauguration par un «gratin» de personnalités, comprenant le président de la République italienne, Carlo Azeglio Ciampi, le président du Sénat, Christian Poncelet, le ministre de la Culture, le maire de Florence ou encore Claudia Cardinale. Avec Botticelli, on touche à l'une des icônes de la Renaissance. Mais peut-on véritablement parler de rétrospective face à vingt tableaux du maître et cinq dessins ? Pierluigi de Vecchi, commissaire avec Daniel Arasse, souligne la difficulté d'obtenir en prêt des tableaux aussi prestigieux : «Il n'était pas question pour les Offices de se séparer du Printemps: tous les visiteurs veulent voir cette œuvre ! Même problème avec la Pinacoteca Ambrosiana à Milan. Pour avoir la Madonna del Padiglione, nous avons dû prêter en échange un tableau d'Antonello da Messina, conservé aux Offices et récemment restauré.» Une illustration claire du principe donnant-donnant, qui confirme que le montage des grandes expositions s'apparente de plus en plus aux transferts des stars du football.

Femmes de profil
Pour protéger les œuvres, surtout celles sur panneau de bois, plus fragiles, le scénographe, Laurent Guinamard-Casati, a recrée une lumière naturelle. Un choix qui surprendra ceux qui étaient habitués aux mises en scène théâtrales, avec une belle part d'ombre, des précédentes expositions, mais qui a le mérite de faciliter la visite et de rendre les cartels lisibles. L'accrochage est à la fois chronologique et thématique. Les Vierge à l'Enfant scandent la carrière du peintre, né en 1445 à Florence et mort, presque oublié, en 1510. De celle de 1465 (musée Fesch, Ajaccio) à celle de 1495 (Galleria Palatina, Florence), on remarque un éloignement graduel du réalisme : l'anatomie se fait plus approximative, le fin travail de ciselure, appris dans un atelier d'orfèvre, cède la place à des contours moins maîtrisés. Cette évolution est sensible dans les portraits : l'acuité psychologique du Saint Augustin disparaît dans les jeunes femmes de profil, superbes compositions minimalistes mais qui ont tout de l'immobilité du médaillon.

Détrempe toujours…
«Lorsque Botticelli a été redécouvert par les Anglais au XIXe siècle, on a retenu son côté de rêveur mélancolique, qui lui est restée attaché. C'est une image faussée, explique Pierluigi De Vecchi. Nous voulons montrer qu'il est très lié au projet humaniste de Laurent de Médicis. Il a par exemple illustré pendant quinze ans la Divine Comédie de Dante. Pendant que d'autres artistes, comme Verrocchio ou Sangallo, étaient envoyés dans les cours de la péninsule pour faire rayonner l'art florentin - lui n'a jamais quitté la capitale toscane.» C'est en quelque sorte le pivot de la création artistique à Florence : pour De Vecchi, Botticelli est un immense narrateur. Sa façon de synthétiser sur un seul tableau les malheurs de Virginie, vierge romaine convoitée par le puissant Marcus Claudius, est sans équivalent en cette fin de Quattrocento marquée par les sermons apocalyptiques de Savonarole. Le grand œuvre de la Divine Comédie n'est malheureusement observable que par un seul dessin, une évocative carte de l'Enfer avec ses cercles. On pourra en revanche mesurer l'influence de Botticelli sur ses proches, comme Filippino Lippi, ou voir comment son style théâtral apparaît statique et dépassé face à son cadet Piero di Cosimo. Botticelli, qui s'est toujours refusé à utiliser la peinture à huile, lui préférant la détrempe, est «liquidé» au XVIe siècle par Vasari, qui ne voit en lui qu'un faiseur sophistiqué. Aujourd'hui, Vasari est oublié et Botticelli triomphe à Paris…


 Rafael Pic
01.10.2003