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Expositions

Le Greco, éloge du métissage

Né en Crète, formé en Italie, actif en Espagne : Domenikos Théotokopoulos est le modèle parfait de l'homme européen. Le Metropolitan Museum essaie à son tour de percer une peinture qui garde une part de mystère.


La Vision de saint Jean, 1608-14,
huile sur toile, 222.3 x 193 cm,
Metropolitan Museum of Art,
New York Rogers Fund.
NEW YORK. Son nom est tellement lié à celui de Tolède - jusque dans le titre de Maurice Barrès, Greco ou le secret de Tolède, qui en fit une «star» au début du XXe siècle - qu'on oublie qu'il s'agit en réalité d'un parfait immigré. A sa naissance sur la rocailleuse terre de Crète, en 1541, celui qui allait devenir «le Grec» s'appelle Domenikos Théotokopoulos. Jusqu'en 1567, date de son départ pour Venise (qui contrôle l'île), il est peintre d'icônes à Héraklion. «L'exposition met l'accent sur le style de la maturité» explique Keith Christiansen, du Metropolitan Museum of Art, l'un des commissaires. Mais ce style mêlant si étroitement la rigidité de la tradition byzantine - celle des icônes, précisément - au dessin virtuose de la Renaissance italienne, il ne pouvait être fait l'impasse sur ses jeunes années. «Les deux icônes dont on est absolument sûr qu'elles sont de sa main seront présentées : il s'agit de la Dormition de la Vierge (église de Syros) et de Saint Luc peignant la Vierge (Musée Benaki, Athènes).» Les grandes expositions ont donc du bon puisque ces deux œuvres de jeunesse n'avaient pu être présentées à la rétrospective de 1982 à Madrid, Washington, Dallas et Toledo (Etats-Unis). Et pour cause : on ne les connaissait pas encore.


Vue de Tolède, vers 1597-9
huile sur toile, 121,3 x 108,6 cm.
Metropolitan Museum of
Art, New York, Collection
Havemeyer.
Philippe II, insensible…
En 1577, le Greco quitte l'Italie où il s'est formé pendant une décennie. Il y a notamment assimilé les outrances du maniérisme, qui distord les anatomies, et la science de la couleur, notamment par l'intermédiaire de Titien et Véronèse. Désireux de s'attirer des commandes royales, il part en Espagne. Philippe II ne daignera jamais lui demander un tableau mais le Greco trouvera une clientèle fidèle dans les milieux savants et ecclésiastiques de Tolède, où il est installé. Pour la première fois, on pourra voir côte à côte les deux versions de L'Adoration du nom de Jésus, une composition qu'il avait dédiée au souverain espagnol, que l'on distingue à genoux. Sans réussir à l'émouvoir… Son testament, l'immense Adoration des bergers, qu'il voulait voir figurer sur son tombeau, est là. Une Vue de Tolède, que l'on a parfois appelée le premier paysage expressionniste, ou le Soplón (Enfant soufflant pour allumer une chandelle), prouvent qu'il a cultivé tous les genres. Parmi les 70 œuvres présentées figurent également des portraits. «L'un d'eux, provenant d'une collection privée, n'a été vu par aucun spécialiste depuis un demi-siècle, précise Keith Christiansen. Il représente le sculpteur Pompeo Leoni». C'est-à-dire un autre «métèque» en terre d'Espagne, spécialiste des bronzes qui recevra, lui, des commandes de Philippe II. Mais sans passer aussi brillamment à la postérité…


 Charles Flours
07.10.2003