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Expositions

Jeu de Paume : Zao Wou-Ki clôt une époque

Avant de se transformer en temple de la photographie, le Jeu de Paume rend un dernier hommage aux «générations intermédiaires».


1.10.73, 1973, huile sur toile
260 x 200 cm. Coll. particulière,
Paris © ADAGP Paris, 2003
PARIS. «Générations intermédiaires» : l'expression, pleine d'un délicat euphémisme, a été formulée par Jean-Jacques Aillagon l'hiver dernier. Ainsi avaient été définis les artistes honorés par le Jeu de Paume depuis quelques décennies : des créateurs reconnus, pas encore disparus mais que leur âge ou leur parcours éloignent désormais des avant-garde. Si la question de savoir où ils seront désormais exposés n'a pas trouvé de réponse claire, elle ne concerne plus Zao Wou-Ki. Le peintre né à Pékin en 1921, Parisien depuis 1948, est en effet le dernier «lauréat». Et les choses ont été faites en grand afin que l'on puisse considérer cette rétrospective, qui ajoute un quart de siècle de travaux à la précédente, organisée en 1981 au Grand Palais, comme la référence : deux étages consacrés aux huiles et un aux œuvres sur papier. Les flèches proposent de commencer par la peinture mais on fera aussi bien de désobéir pour descendre au sous-sol. Là, les encres montrent avec pertinence tout ce qui rattache Zao à la tradition chinoise. Tradition du signe et de la tache, aux formes sans cesse réinterprétées, où la précision du dessin est une donnée tout à fait secondaire. On le vérifiera dans ces petits carnets du début des années cinquante, où se côtoient une vue du Colisée, des montagnes de Savoie résumées en quelques traits et des poissons stylisés aux yeux très ronds.


Hommage à Matisse I, 1986
huile sur toile, 162 x 130 cm
Collection particulière, Paris
© ADAGP Paris, 2003
L'ombre de Klee
Continuons la visite à l'envers, en abordant les tableaux des trois dernières décennies. Ils sont parfois immenses, pleins de cette gestuelle que l'on retrouve chez Mathieu ou Pollock, et qui suppose de travailler sur une toile étendue au sol. Ils n'ont rien de figuratif même si l'on peut y découvrir, comme dans le test des taches de Rohrschach, des lacs sous la brume, des petits matins sous la neige. Dans les toiles les plus récentes, Zao Wou-Ki semble plus que jamais revenir à ses racines orientales : l'huile, étalée en glacis, ressemble à s'y méprendre à l'aquarelle, dont elle imite les couleurs diaphanes vibrant au contact de l'eau. Pour découvrir, au fond, le Zao Wou-Ki le plus «européen», il faut finir par le début, par les tableaux des années quarante et cinquante. Une petite Noce de 1941 renvoie à Chagall par ses couleurs crues, par cette mariée aux grands yeux, engoncée dans son voile qui semble la paralyser. Et ce qui suit, c'est bien sûr un hommage à Paul Klee, avec ces lignes qui compartiment l'espace comme s'il s'agissait d'une tapisserie raffinée. Mais on veut bien reconnaître l'influence de la Renaissance italienne dans cette matière qui ressemble à des fresques grattées ou délavées par le temps. Ou encore croire au parallélisme avec l'école de dessinateurs tchèques et Ronald Searle dans ce trait qui avance, un peu tremblant mais sans repentir, pour former un bateau, un couple allongé (Couple et montagnes, 1950). On a toujours plaisir à voir qu'un artiste est plus complexe, plus divers que ce que son image «officielle» laisse imaginer. Et ces compositions figuratives d'avant 1954 (dont on peut également voir une sélection à la galerie Vanuxem), trop souvent oubliées derrière l'abstraction qui suit, ont une fraîcheur bienfaisante. Elles illustrent un moment clé dans la formation du jeune artiste : le bouillonnement de la grande fournaise d'où sortira le style de la maturité.


 Rafael Pic
14.10.2003