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Expositions

L'année de tous les Boucher

Le peintre des plantureuses odalisques est né il y a 300 ans. Ses dessins font l'objet de trois rétrospectives simultanées à Paris et New York.


Etude de pied, pastel,
313 x 305 cm, Paris, Musée
Carnavalet © Photothèque
de la ville de Paris, D. Lifermann
PARIS. Tout le monde connaît cette jeune femme potelée, nue, allongée sur sa couche aux draps moelleux, levant un pied nonchalamment. C'est L'Odalisque, peinte en 1751, qui représentait une coquette de l'époque, Louise O'Murphy. Elle est aujourd'hui au Musée Walraff-Richards de Cologne mais a traversé le monde par l'intermédiaire de la photo et des posters. On peut actuellement voir au Louvre un délicieux détail de ce tableau, sur lequel on ne dispose que de peu d'informations. Il s'agit d'un gros plan sur le pied de la dame, peut-être la commande d'un fétichiste… Voilà Boucher résumé en quelques traits : un bon interprète des courbes féminines, un peu galant, un peu mièvre. Non, justement ! Trois expositions pour son tricentenaire veulent montrer que François Boucher (1703-1770), prix de Rome, protégé de la Pompadour, premier peintre du roi à partir de 1765, ce n'est pas uniquement cela. La démonstration commence à l'Ecole des beaux-arts, qui a entrepris depuis quelques années de dévoiler son fonds richissime.


Homme assis, les
bras croisés
© Ecole
nationale supérieure des
beaux-arts, Paris 2003
© D.R.
Trois Grâces et éventails
Malgré sa renommée, on possède très peu d'informations sur la formation de Boucher. On sait qu'il s'est fait un nom, dans l'atelier de Lemoyne, en gravant les tableaux de Watteau, qu'il n'a cependant jamais rencontré. Il y aura pris ce pli «Fêtes galantes» qui ne l'a jamais vraiment quitté… Pourtant, à côté des innombrables Trois Grâces ou Diane endormie à la sanguine, Boucher a également réalisé des dessins nerveux de batailles, à la plume et au lavis, qui ont longtemps été attribués à d'autres, comme Guardi ou Castiglione. On en voit un bel exemple avec ce très animé Assaut des Grecs contre Trois. L'accrochage de l'école des beaux-arts permet ainsi de faire le point sur certaines réattributions. Il a surtout le mérite de replacer Boucher dans le contexte de son temps, entre ses maîtres et ses contemporains, Bouchardon (avec une superbe statue d'écorché), Natoire ou Oppenord, dont les esquisses pour un théâtre de Louis XV constituent une véritable découverte. L'immense activité de décorateur rocaille, qui s'étend des éventails aux dessus de porte, se répercute jusque sur les murs, qui ont été, pour l'occasion, recouverts d'un motif en arabesque.

Boucher ambassadeur
Au Louvre, on a choisi de présenter dans une salle de 13 mètres sur 13, exploitée au mieux de sa surface, une sélection de 70 dessins, provenant du fonds propre et des musées de province. On y découvre ses feuilles d'architecture, pleines d'une sérénité gracieuse et pittoresque, ou ses œuvres ultimes, nettement plus sombres, dans lesquelles transparaît une sourde angoisse existentielle (La Présentation au Temple). Boucher aurait, dit-on, réalisé dix mille dessins au cours de son existence… dont beaucoup ont été dispersés à travers le monde lors de la vente Crozat en 1741. Cette abondance permet à d'autres institutions, comme la Frick Collection de New York, de se joindre au concert Boucher. Les 75 dessins exposés insistent sur son rôle de maître-décorateur, pour les tapissiers de Beauvais ou pour la manufacture de Sèvres, et permettent de découvrir les bijoux des collections privées américaines. Boucher, le baise-main, la galanterie, les ombrelles : une certaine idée de la France ?


 Pierre de Sélène
21.10.2003