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Expositions

Peindre à Bagdad

Quelle est la situation des artistes en Irak, six mois après la fin des bombardements ? Une exposition parisienne, qui est le fruit d'un courageux voyage initiatique, en donne un aperçu.


Qassim Al Sabti, collages sur
couverture de livres, 2003.
© Galerie M
PARIS. Deux jeunes femmes se rendant à Bagdad en juin 2003, un mois après la fin de la guerre, voilà qui n'a rien d'anodin. Surtout lorsque le but de ce voyage, que l'on peut parfaitement qualifier d'humanitaire, est de faire le point sur un secteur dans un état aussi désastreux que le pays lui-même : l'art contemporain irakien. «Cela faisait longtemps que je voulais aller en Irak et j'étais déjà familiarisée avec les œuvres des artistes en exil. Mais pour ce qui est de la création sur place, c'était le black-out total. Il n'y avait plus eu de publication consacrée à l'art contemporain depuis 1983,» explique Meriem Lequesne, directrice de la Galerie M à Paris, qui a fait le déplacement en compagnie de Caecilia Pieri.


Le tableau de la liberté, 2002, huile sur
toile. © Galerie M
Beaux-arts en ruines
Sur place, les deux exploratrices ont tenté de rencontrer le plus grand nombre d'artistes pour prendre le pouls de la création. Il en est bien sûr sorti une image glaçante en termes matériels :«L'embargo a évidemment pesé dans tous les domaines, souligne Caecilia Pieri, des tubes de peinture aux toiles, jusqu'au papier et aux livres. Par exemple, les gens là-bas parlent de livres "retissés". Il s'agit d'ouvrages dont l'original a été photocopié tant de fois que l'on n'arrive plus à lire que des bribes de phrases, qu'il faut compléter au stylo.» Mais, et c'est évidemment la leçon de courage qui frappe, la création ne s'arrête jamais, même sous les bombes. C'est ce que prouvent les œuvres rapportées de Bagdad. «La plus emblématique est évidemment le Tableau de la liberté, continue Meriem Lequesne. Il a été réalisé par dix élèves de l'école des beaux-arts, qui sont allés voir ce qui restait de leur établissement après le passage des obus.» Ce triste paysage - un atelier détruit, les vitres brisées, des tableaux endommagés et plus aucune seule pièce de mobilier - les a poussés à exprimer en couleur tout ce qu'ils ressentaient. Le résultat, fort, vibrant, hurlant comme une toile expressionniste des années 1920, a été acquis par un musée parisien.


Ahmed Noussaief, Marais, 2001,
huile sur jute, 40 x 40 cm
© Galerie M
Demain la sculpture
Tout aussi émouvants sont les paysages abstraits composés par Qassim Al Sabti à partir des livres détruits par les missiles. «J'ai mis dans chacune de ces œuvres toute mon âme en me disant que c'était peut-être ma dernière» a-t-il expliqué à ses interlocutrices. Cette composition à partir du manuel d'algèbre Millet de 1920 est particulièrement touchante pour les Français. Comme beaucoup des pièces exposées, il a été proposé à un prix très accessible (800 euros) et très vite vendu. Il en va de même des vues urbaines lumineuses de Mohammed Jassim Al Zubaidi, des images figuratives de Noori Al Rawi, un «classique» de 78 ans, ou des toiles abstraites d'Ahmed Noussaïef sur les marais du Chatt-el-Arab, saccagés et asséchés par le régime. Aucun prix ne dépasse 1000 euros. «La galerie ne va pas s'enrichir ! sourit Meriem Lequesne. Entre le transport par DHL, dont nous avons été le premier client à Bagdad, l'encadrement et la quote-part de l'artiste, nous ne rentrerons dans nos frais que si nous vendons tout.» Un défi qui sera probablement relevé avant la prochaine étape. «Un nouveau voyage à Bagdad est programme pour janvier 2004. Cette fois, nous voulons découvrir la sculpture irakienne. Et avec l'aide du Quai d'Orsay, nous voulons faire venir les artistes en France.»


 Rafael Pic
25.10.2003