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Expositions

Serge Clément ou l’écume des villes

Le Réverbère présente un florilège des dix dernières années de création du photographe. Une superbe errance parmi la ville et ses miroirs.


Foule © Serge Clément, Hong
Kong, 1996, Courtesy Galerie
Le Réverbère, Lyon
A droite, une photographie d’immeubles se dressant derrière les mailles d’un filet. A gauche, l’image d’un intérieur de café où deux tables vides disparaissent sous un halo de fumée et quelques taches de lumière. Les images noir et blanc ont un grain prononcé et l’espace montré est déjà voilé, rongé de matières ou de surfaces allogènes. Une cinquantaine d’images se succèdent ainsi dans la galerie : voyage urbain rythmé d’éclaboussures d’ombre ou de lumière, de reflets, d’amas de matière, de motifs géométriques… Où sommes-nous exactement ? Les cartels indiquent : Hong Kong, Berlin, Shanghai… Rien ne permet cependant de reconnaître ces lieux qu’a parcourus, l’œil en bandoulière, le photographe canadien Serge Clément. Un ancien reporter passé de l’informatif à l’allusif, et du réel à l’imaginaire. Clément ne s’adresse guère au géographe, mais au poète des villes, à l’amant des rencontres fugitives et incongrues. « Tout à coup, en passant, quelque chose m’attire, je m’arrête et je prends le temps de rencontrer cet accident, d’aller voir… Je me rends disponible à ces imprévus. Soudain, il y a des lieux qui appellent l’acte photographique » déclare l’artiste dans un entretien avec Serge Allaire.


Fumée © Serge Clément, Hong
Kong, 1996, Courtesy Galerie Le
Réverbère, Lyon
Au fil de l’eau du miroir
Sous son œil à l’affût, une affiche gondolée se métamorphose en bassin où vont se noyer des inconnus, un reflet sur une armoire ouvre un nouvel espace lumineux et mystérieux, des silhouettes fantomatiques mouchètent les murs d’une pièce faiblement éclairée, une embrasure vibre de lumière sur la buée d’une vitre, les fenêtres d’un immeuble s’érigent en cathédrale en suivant les plis sans fin d’un rideau… Autant d’images improbables qu’il obtient pourtant sans l’artifice du montage ou de la surimpression. Ce sont de simples distorsions du réel, des hasards objectifs, qu’il « suffit » de cueillir, cadrer. Les villes sont en effet nimbées d’images « toutes faites » : des affiches, des graffitis, mais aussi des ombres portées et d’innombrables surfaces miroitantes. Sur la trame de ses photographies, Clément coud ces fragments urbains, juxtapose ces reflets, tisse ces plans contradictoires, parfois jusqu’à l’abstraction. La perspective est ainsi abolie au profit de lignes de fuite courbes et tremblées, de rêveries parmi la nuit du réel. Les frontières entre l’homme et la matière, l’intérieur et l’extérieur, le proche et le lointain, le champ et le contre-champ deviennent, l’espace d’un instant, caduques. Clément fond ces éléments et les réduit à leur commune substance lumineuse. Au sein de cet univers tout en vibrations, on se surprend à penser que ce qu’il y a de plus beau et de plus profond, c’est la peau du réel.


 Jean-Emmanuel Denave
30.10.2003