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Turner Prize 2003 : un scandale sinon rien

Pour sa vingtième édition, le prix d'art contemporain parrainé par la Tate Gallery reste fidèle aux méthodes qui ont fait son succès.


Jake et Dinos Chapman
CFC76311561.1, 2002
Courtesy Jay Jopling / White
Cube (Londres). Photo :
Stephen White
LONDRES. Des installations qui «choquent le bourgeois», l'ombre des faiseurs de rois de l'art anglais - l'ex-publicitaire Charles Saatchi, Jay Jopling, l'animateur de la galerie White Cube, et Nicholas Serota, le patron de la Tate Gallery - et une présentation en fanfare à la télévision. La mécanique du Turner Prize, qui récompense un artiste britannique de moins de 50 ans, est désormais bien huilée. Et elle est merveilleusement amplifiée par les prises de position en tous sens. L'an dernier, le ministre de la Culture, Kim Howells, laissant choir le langage diplomatique, s'était récrié devant toutes ces «conneries conceptuelles». Le cocktail devrait fonctionner au moins aussi bien cette année, le «casus belli» étant fourni par une sculpture explicitement sexuelle des favoris de l'épreuve, les frères Jake et Dinos Chapman : dans Death, deux personnages s'adonnent au sexe oral avec l'aide d'un vibromasseur. «L'œuvre est bien moins scandaleuse que ce qu'a laissé croire un récent article de l'Observer, tempère Katharina Stout, l'une des commissaires du Turner Prize. Le journaliste ne l'avait manifestement pas vue puisque sa description était inexacte. Il ne s'agit pas d'un couple nu mais de deux poupées gonflables habillées, en quelque sorte un ready made. On en voit bien plus à la télévision ou dans les journaux…»


Grayson Perry, Boring Cool
People
, 1999, Courtesy
galerie Victoria Miro, Londres.
Goya comme papier brouillon
Mais il ne s'agit pas là de la seule intervention subversive des célèbres frères. Dans Sex, qui n'a cette fois-ci rien d'érotique, ils ont détourné une série de gravures originales de Goya sur les Malheurs de la guerre en y rajoutant des chapeaux de clowns. Les trois autres concurrents sont, par comparaison, bien plus sages. Anya Gallaccio se borne à laisser pourrir des pommes et des fleurs, le temps de l'exposition, pour souligner le passage du temps. Grayson Perry dessine sur ses vases en céramique des scènes très contemporaines, parfois inspirées de sa propre enfance. Willie Doherty a le discours le plus «politique». Cet Irlandais, marqué par le conflit qui secoue son pays, utilise la photo et la vidéo. Dans Re-Run, l'œuvre présentée, un homme en fuite est vu, par l'intermédiaire de plusieurs écrans, simultanément s'approchant et s'éloignant. Dans sa tentative de rapprocher l'art contemporain du grand public, le Turner Prize semble efficace. «Nous avons reçu 70 000 visiteurs l'an dernier, poursuit Katharine Stout, et nous en attendons davantage en 2003. Mercredi 29 octobre, pour le premier jour, 1 500 personnes ont fréquenté l'exposition.»


Anya Gallaccio, beat,
commande de la Tate Britain,
exposée du 16 septembre 2002
au 20 janvier 2003
,Courtesy Lehmann Maupin
© Anya Gallaccio. Photo :
Steve White
Keith Tyson en 2002. Qui en 2003 ?
La soirée du 7 décembre, pour la remise du prix de 20 000 £ en direct sur Channel 4, risque donc d'être animée. Les jurés, au nombre de quatre, sous la direction de Nicholas Serota, sont de matrice entièrement anglo-saxonne. L'an dernier, la présence d'Alfred Pacquement, du Centre Pompidou, donnait une petite touche latine à ce comité. Il comprend en 2003 Richard Calvocoressi, directeur de la Scottish National Gallery, Chrissie Iles, commissaires pour la vidéo de la biennale 2004 du Whitney Museum, Frank Cohen, l'un des grands collectionneurs anglais actuels, et le critique d'art Andrew Wilson. Leur tâche : trouver un digne successeur aux Gilbert & George, Tony Cragg, Richard Long, Anthony Gormely, Chris Ofili, Damien Hirst et autres Anish Kapoor, qui ont été décorés dans le passé. Une liste qui prouve que le Turner Prize, au-delà des polémiques, sait viser juste.


 Charles Flours
30.10.2003