Home > Le Quotidien des Arts > Humboldt, notre agent en Amérique

Expositions

Humboldt, notre agent en Amérique

L'expédition de Humboldt et Bonpland en Amérique du Sud, de 1800 à 1805, est efficacement évoquée au Musée des arts et métiers.


Condor (Vultur Gryphus), Louis
Bouquet, gravure coloriée. A. de
Humboldt, Recueil d'Observations
de zoologie et d'anatomie
comparée, vol.I, pl.8, 1811.
© Bibliothèque centrale du MNHN.
PARIS. C'est l'un des produits les plus admirables de l'Europe des Lumières. Alexandre von Humboldt (1769-1859), né en Allemagne mais chez lui dans toutes les académies scientifiques d'Europe, est l'un des fondateurs de l'océanographie (un courant porte son nom), mais aussi un géologue et un botaniste hors pair, un économiste et un historien très savant. Lorsqu'il s'embarque du port de La Corogne, en 1799, en direction de l'Amérique centrale et méridionale, c'est pour tenter d'en dresser un tableau aussi complet que possible. A son retour, il aura dans ses bagages 60 000 spécimens de 6 000 espèces de plantes dont 3 600 encore inconnues des savants européens. Mais également des animaux naturalisés, la première carte détaillée du cours de l'Orénoque, d'innombrables mesures géographiques et des considérations sur la société locale. Le compte-rendu de ce voyage occupera plus de trente volumes et sera publié en plusieurs décennies.


Bertholletia excelsa.
Herbier Humboldt et Bonpland,
Amérique équatoriale.
© Bibliothèque de
Phanérogamie du MNHN.
Le mystère de l'hygromètre à cheveu
Dans cette matière colossale, il fallait effectuer un choix pour rendre l'aventure intelligible au public. C'est ce qu'a fait le Musée des arts et métiers, dans le même esprit que ce qui avait été réalisé pour rappeler les hauts faits d'Alcide d'Orbigny. Les premières vitrines montrent l'équipement emporté par les explorateurs : des mécaniques construites par les meilleurs artisans de l'époque. Pour nous, usagers ignares d'appareils électro-ménagers «autonomes» ou de règles en plastique qui se rompent à la seconde utilisation, il s'agit d'objets exotiques par leur qualité irréprochable et par leurs fonctions mystérieuses. Qu'est-ce donc qu'un théodolite à pinnules, qu'un cercle répétiteur, qu'un eudiomètre à gaz nitreux ou qu'un électromètre à boules en moelle de sureau ? Pour mesurer le taux d'humidité, Humboldt et son complice Bonpland avaient à disposition l'hygromètre à fanon de baleine ou celui d'Horace-Bénédict de Saussure, dont l'ingrédient principal est un simple cheveu…


Humboldt et Bonpland sur
l'Orénoque
, gravure sur bois
coloriée, d'après la peinture
de Ferdinand Keller, 1877.
© AKG, Paris
Aventures au cône sud
Ces pièces de musée, dont les cartels en contre-jour sont parfois difficiles à déchiffrer dans une atmosphère qui se veut évocative (lumière changeante, pont et parements de bambou), sont suivis d'animaux empaillés (tatou à neuf bandes, fourmilier, sajou versicole, hurleur ourson). De belles planches d'herbier, élégamment légendées, et d'originales impressions directes (on passait de l'encre sur le végétal avant d'y presser le papier - Degas et les nabis emploieront la même technique…) soulèvent ensuite des questions en cascade. Comment ces deux hommes ont-ils trouvé le temps de sélectionner trente plantes par jour pendant cinq ans (pour arriver au chiffre précédemment mentionné de 60 000 spécimens), de mesurer le bleu du ciel et l'altitude du Chimborazo, la température de l'océan et la composition chimique des fumerolles volcaniques ? La fin abrupte du parcours muséographique, qui se clôt dans la pénombre sur le petit écritoire de Humboldt, conservé à l'Observatoire de Paris, laisse du temps pour consulter l'abondante documentation. Confortablement installé dans un canapé, on pourra se plonger dans la biographie d'Aimé Bonpland (1773-1858), qui vaut tous les romans d'aventure. Ami de Humboldt, confident - voire plus - de Joséphine à la Malmaison, pionnier de l'agriculture scientifique en Uruguay, géniteur d'un nombre impressionnant d'enfants, il sera emprisonné pendant dix ans par le terrible dictateur du Paraguay, Augusto Francia, pour avoir redécouvert le secret de l'herbe à maté, qui doit se ramollir dans l'estomac d'un dindon avant de pouvoir germer. Mieux qu'Indiana Jones…


 Rafael Pic
03.01.2004