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Expositions

Versailles, capitale de la Chine

Louis XIV reçoit en son château son exact contemporain, l'empereur Kangxi. Trois cents objets précieux, dont la majorité ne sont jamais sortis de Chine, sont exposés.


Kangxi lisant, peinture sur soie,
avec l'autorisation de l'Administration
gouvernementale du Patrimoine
culturel de la République populaire
de Chine, le Musée du Palais, Pékin,
Chine.
VERSAILLES. Pour l'Année de la Chine, en concomitance avec la venue du président de la République populaire, il fallait un événement important et politiquement correct. C'est le cas avec cette rétrospective qui aborde le règne d'un empereur lettré, miroir idéal des despotes éclairés d'Europe. Pour installer le célèbre Kangxi (1654-1722) dans les salles du château, les décorateurs Jeanclos et Fontaine ont déployé des centaines de mètres carrés de soie teintée sur les murs. La visite se fait dans la pénombre qui sied aux choses mystérieuses et qui rend plus envoûtants, par le jeu des ombres portées, des objets rationnels comme cette grande sphère armillaire de l'entrée.


L’Audience du Prince, bordure dite
au Chinois, Manufacture de Beauvais
Fin du XVIIe siècle, premier tiers du
XVIIIe siècle. Laine et soie, Paris,
Musée du Louvre.
Ressusciter le Trianon de porcelaine
Plutôt que de simplement montrer un choix des collections de la Cité Interdite, l'exposition s'attarde sur les rapports entretenus entre les deux civilisations. Le rôle des jésuites - notamment des trois «mousquetaires» Matteo Ricci, Adam Schaal et Ferdinand Verbiest - dans la diffusion à Pékin des sciences, de la musique et de la peinture d'Occident, est mis en avant. En retour, on voit comment les «chinoiseries» se sont emparées de l'Europe, avec notamment une série de tapisseries de Beauvais aux coloris somptueux. Ou encore avec une reconstitution originale du Trianon de porcelaine que Louis XIV avait fait construire à Versailles du temps qu'il était amoureux de la Montespan. Ce bâtiment recouvert de faïence bleue et jaune et d'ardoises, démoli dès que l'ardeur du roi avait faibli, brillait de mille feux. Il était encombré de vases chinois, dont l'on admire ici les équivalents, accrochés dans des niches ou suspendus dans le vide, en un équilibre précaire qui fait froid dans le dos. Chaque objet est assuré pour plusieurs dizaines de milliers d'euros. Attention aux vibrations en marchant !


Le voyage dans le sud, rouleau numéro 12,
peinture sur soie avec l'autorisation de
l'Administration gouvernementale du Patrimoine
culturel de la République populaire de Chine,
le Musée du Palais, Pékin, Chine.
Kangxi en bleu de travail
Kangxi, deuxième empereur mandchou porté sur le trône à l'âge de dix ans grâce à la poigne de sa grand-mère, et Louis XIV ne se sont évidemment jamais rencontrés. Mais Louis XIV, qui voyait dans le souverain d'Asie son unique alter ego, lui avait envoyé une délégation de savants et d'intellectuels. En était-il vraiment besoin ? De ce que l'on voit, Kangxi semblait autrement studieux que le Roi-Soleil. Son portrait le plus connu n'est pas en tenue d'apparat mais dans une simple blouse bleue en soie moirée, assis devant un volume ouvert. Chaque jour, Kangxi traçait mille idéogrammes, dont on voit quelques exemples. On n'a pas connaissance que Louis XIV se soit astreint à une telle discipline. Le seigneur de l'Empire du Milieu ne négligeait pas pour autant l'auto-célébration. Après une tournée pacificatrice en Chine du Sud, il fait réaliser un compte-rendu du voyage et de son retour triomphal à Pékin. C'est la pièce maîtresse de l'exposition : deux immenses rouleaux dont vingt mètres sont déroulés dans une vitrine. A savourer car leur prêt n'est justifié que par les circonstances extraordinaires invoquées plus haut. Ils seront ensuite remis à l'abri et redeviendront invisibles pour longtemps.


 Pierre de Sélène
28.01.2004