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Musées

Un Caravage, sinon trois

L'authenticité de L'Arrestation du Christ, le célèbre tableau exposé à la National Gallery de Dublin, fait l'objet d'un débat enflammé.

DUBLIN. Abondance de Caravage ne nuit pas, pourrait-on penser. Ce n'est pas l'opinion de Raymond Keaveney, le directeur de la National Gallery de Dublin, depuis que certains mettent en doute le fleuron de sa collection. L'Arrestation du Christ, daté de 1602, n'est accroché aux cimaises du grand musée irlandais que depuis une dizaine d'années. Auparavant, il trônait dans le réfectoire des jésuites de Dublin sous l'appellation de Gerard von Honthorst. C'est à l'occasion de sa restauration, en août 1990, que Sergio Benedetti, conservateur en chef à la National Gallery, l'attribua au bouillant maître du clair-obscur. Cette attribution a été acceptée par la plupart des spécialistes du peintre, y compris Sir Denis Mahon, l'un des derniers monstres sacrés de l'histoire de l'art, fin connaisseur du baroque italien. Elle a été sanctionnée par un article dans le Burlington Magazine, la bible de la profession.


Caravage, L'Arrestation du Christ
(1602), National Gallery of Ireland,
Dublin, avec l'aimable permission de
la communauté jésuite, qui remercie
Marie Lee Wilson pour sa générosité.
Dublin se rebiffe
L'annonce de l'existence d'une seconde version du tableau, la semaine dernière, a donc été assez mal prise par les Dublinois, d'autant que les inventeurs de cette autre Arrestation clament haut et fort qu'il s'agit de la seule authentique. Si les révélations de l'historienne Maria Letizia Paoletti semblent fracassantes, elles n'ont pour l'instant pas pu être vérifiées. Le tableau serait en possession d'un marchand italien, dont le nom n'a pas été communiqué. A Dublin, où la défense du Caravage prend les proportions d'une cause nationale (des paris sur l'authenticité auraient été ouverts chez les bookmakers), Raymond Keaveney a fourbi les armes de la contre-offensive. Il a d'abord voulu dégonfler le soufflé : ce second Caravage ne serait en réalité qu'un cheval sur le retour puisqu'il est connu depuis 1951. ll est par ailleurs notoirement inférieur en termes d'exécution. Pour conforter ses arguments, Raymond Keaveney propose une exposition exceptionnelle où les deux peintures seraient placées côte à côté. Un jury populaire trancherait le nœud gordien…

L'inconnu d'Odessa
Ce duel au sommet - qui n'a pour l'instant pas convaincu la partie italienne - risque d'être dérangé par un trublion. Sir Denis Mahon, toujours fringant à 94 ans, a annoncé qu'un troisième Caravage, dont personne ne tient compte, pourrait constituer une version supplémentaire du sujet. Il se trouve dans une collection ukrainienne à Odessa et n'a pas encore suscité la curiosité des analystes. Lorsque l'histoire de l'art prend des allures de filature policière, elle passionne le grand public, surtout si le protagoniste est une forte personnalité. C'est évidemment le cas pour Caravage, dont on a révélé l'an dernier qu'il avait, en plus d'autres menues bagarres, éliminé un rival en amour en lui coupant les testicules. Les ingrédients d'une longue polémique sont maintenant réunis. Il ne reste qu'à admirer les pièces à conviction.


 Charles Flours
23.02.2004