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Qui est donc Houdon ?

Hormis son célèbre Voltaire assis, que connaît-on de l'un des plus grands sculpteurs français du XVIIIe siècle ? À Versailles, soixante-dix œuvres aident à mieux cerner l'artiste.


Denis Diderot, 1771. Terre cuite
sur piédouche en bois (détail),
Paris Musée du Louvre,
département des Sculptures.
VERSAILLES. On attendait une rétrospective Houdon depuis trois quarts de siècle, c'est-à-dire depuis 1928, année du centenaire de sa mort. Celle qui est présentée à Versailles, et qui a d'abord fait étape aux Etats-Unis, ne se prétend pas définitive - elle ne présente qu'un cinquième de l'œuvre du sculpteur - mais elle trace une ligne de vie très lisible. De plus, elle permet de découvrir les appartements de Mesdames (les filles de Louis XV), habituellement fermés au public. En quittant l'exposition, on passe même dans une pièce «historique» - le salon où a expiré la Pompadour. Est-ce à dire que Houdon est un symbole du style Louis XV, de sa préciosité, de son goût pour le pittoresque, la rocaille, l'exotisme ? Non. Houdon, né en 1741, fortement marqué par son séjour romain de 1764-68, ne joue pas dans l'emphase. Hormis quelques créations, célèbres en son temps, qui ont un peu la mièvrerie de Greuze (on pense à la petite Frileuse, allégorie de l'hiver), il évite la «manière». Ses sujets privilégiés sont les personnages en buste, qui regardent droit devant ou, rarement, au plafond, à l'image du roi des intrigants, Cagliostro.


François-Marie Arouet, dit Voltaire
(1694-1778)
, 1778, marbre blanc
avec incisions gris sombre et
veinures sur socle en marbre gris,
H. 36,8 cm (48,2 cm avec
piédouche) L. : 21,4 cm
© Musée des Beaux-Arts, Angers
Au fond des yeux
Le Voltaire de marbre ouvre bien sûr la série avec la célèbre statue qui ne quitte jamais la Comédie-Française. Puisque l'occasion en est donnée, il faut s'approcher, tourner autour du vieux philosophe sur sa chaise, le fixer dans les yeux. On remarque alors le curieux traitement de la pupille, profondément incisée mais munie d'une larme qui donne toute son intensité au regard. Cette technique donne aux bustes de Houdon une vivacité particulière, qui est renforcée par le traitement très précis d'autres détails du visage : les ridules à l'angle des yeux chez Diderot, les lèvres en forme de lippe chez Louis XV, ou encore la dentition de sa belle épouse (de 25 ans plus jeune que lui), immobilisée dans un charmant sourire. Cette expressivité des traits, rapproche Houdon de la statuaire romaine plutôt que grecque.

La Fayette chauve
Deux intéressants tableaux de Boilly montrent Houdon au travail, en savates, l'œil rieur. Les bustes de plâtre empilés sur l'étagère prouvent que l'artiste ne chômait pas. Toutes les cours faisaient appel à lui, la française comme celles de l'étranger, et la jet-set de l'époque aussi. La cantatrice Sophie Arnould fit faire trente répliques de son buste au sein dénudé pour les envoyer à ses admirateurs. Un seul a survécu, tout récemment retrouvé dans les réserves du Musée Goethe à Weimer. Il figure en bonne place dans l'exposition et pourra, on l'espère, inspirer les stars d'aujourd'hui dans leur politique marketing. Cette anecdote permet de rappeler le rôle de la sculpture dans la diffusion de l'image des célébrités. Dans la dernière salle, le saisissant masque du jeune La Fayette sans perruque, les lèvres fines, le front fuyant, avait été commandé par les congressistes de Virginie pour l'offrir à la ville de Paris. Plus proche d'Emilfork que du notable perruqué des livres d'histoire, cette tête est bien à sa place en conclusion. Comme pour nous rappeler les agréables surprises que peut livrer un réexamen consciencieusement mené des artistes du classicisme.


 Pierre de Sélène
02.03.2004