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Marché

L'optimisme règne à Maastricht

Après le succès des récentes ventes d'art moderne et impressionniste, le salon hollandais veut confirmer l'embellie du marché.


Coupe-coquillage avec montures
en argent, 32,5 cm, 1,530 g,
Augsbourg 1630,
galerie F Payer Kunsthandel
MAASTRICHT. Dans la ville où d'Artagnan a perdu la vie, le palais des congrès est, extérieurement, l'un des lieux les moins engageants que l'on puisse imaginer. A l'intérieur, tout change. Vastes allées, bon éclairage, fleurs et… bancs publics en bois, comme dans les jardins. Un détail qui a son importance lorsque l'on s'engage dans un marathon de quelque 200 galeries. Une fois épuisés les superlatifs - foire la plus importante au monde, affluence remarquable avec plus de 65 000 visiteurs, prix spectaculaires jusqu'à 20 millions d'euros - le salon Tefaf peut aussi se parcourir en suivant de simples coups de cœur. A gauche de l'entrée, les discrets mais célèbres Kugel de Paris présentent une sorte de caverne d'Ali Baba où voisinent les sphères célestes auxquelles ils ont récemment consacré une exposition remarquée, des clés en or ou encore deux curieux tableaux en relief, composés de cailloux, de nacre et de coquillages, dans le goût des nymphées de la Renaissance (380 000 euros la paire). Dans la même veine curieuse, le franco-britannique Pelham se distingue. A l'entrée du stand, une horloge-éléphant en or agite sa trompe, ses oreilles, sa queue, ses yeux. Un petit bijou londonien de la fin du XVIIIe siècle qu'il faut remonter toutes les 45 minutes… et qui se négocie à 500 000 euros. Passé le seuil, on découvre un billard vénitien à boules en bois, de la même époque, en état de marche. On vous en fera une démonstration sans vous autoriser à «bourrer» la mécanique : le tilt n'est pas autorisé. Au fond du labyrinthe de Steinitz, on tombe devant la maquette en bois de la colonne Vendôme (90 000 euros). Enveloppée de ses échafaudages (qui auraient été financés par un Courbet repenti, l'un des artisans de sa chute), elle a un petit air de tour constructiviste de Tatline. Chez De Boer, voici une peinture énigmatique, sorte de galaxie tournoyante. Il s'agit d'une anamorphose qui ne se peut déchiffrer qu'avec l'aide d'un miroir cylindrique, qui fait apparaître une crucifixion. Les galeristes ont abordé le sujet avec ce qu'il faut de passion et mettent à votre disposition l'ouvrage classique de Jurgis Baltrusaïtis. Ils avouent cependant, un peu penauds, ne pas être parvenus, malgré leurs efforts, à reproduire une anamorphose… De la supériorité des Anciens sur les Modernes ?

Saints ossements et belle Anglaise
Chaque année, le jeu obligé consiste à deviner qui sont les absents, les revenants, les néophytes. Parmi les antiquaires parisiens, Sarti, spécialiste des primitifs italiens, est de retour. Il renforce un solide contingent où figurent le florentin Moretti et le Studio Grassi de New York. Chez ce dernier, un reliquaire recouvert d'un verre églomisé, en partie brisé, contient des ossements de plusieurs saints. On ne saura jamais si tel fragment a fait partie du squelette de Grégoire le Grand : la valeur de l'œuvre d'art est ici toute subjective… Elle l'est moins pour un panneau que le plus jeune représentant de la famille Grassi a déniché à Drouot il y a quelques mois. Présenté comme un faux Giotto, il est aujourd'hui réattribué à un suiveur du Maître de Sainte Cécile (200 000 euros). La présence d'une toile de lin sous la couche picturale l'a fait dater d'avant 1350 - à l'époque la technique florentine excluait la peinture directe sur le bois, dont l'on ne savait pas contrôler la dilatation. Dans deux sections opposées de la foire, deux galeries très motivées connaissent leur baptême du feu. Le londonien Weiss est spécialisé dans les portraits. Son immense Lady Lawley, plus grande que nature, avec sa fraise et sa robe rutilante, provient des collections de Tyntesfield House, la demeure victorienne rachetée l'an dernier par le National Trust. A 165 000 euros, ce morceau de bravoure de 1625, dû à John Souch, semble une excellente affaire. L'Argentin Eguiguren veut, quant à lui, faire découvrir le travail de l'argent dans le Nouveau Monde. On trouve des pots à maté du XIXe siècle à partir de 5 000 euros. Attention ! Un bon gaucho préfèrera toujours ceux qui ont un revêtement intérieur en calebasse… Un harnachement complet pour votre cheval sera autrement plus cher : 165 000 euros.


Johann Matthias Jansen (1751-1794),
Scène pastorale, nacre, coquillages,
pierres, stuc et poterie colorés,
J. Kugel
Un petit Memling vaut plus qu'un grand Gérard
L'intimidante Maastricht offre donc des premiers prix accessibles. Mais, fidèle à sa réputation, elle sait aussi compter en millions. Chez Graff, on monte bonne garde devant un diamant jaune de 102 carats, dont le prix est pudiquement tenu secret. L'impeccable Hercule à la cour d'Omphale de Cranach l'Ancien, la grande Fuite en Egypte de Zurbarán (chez Agnew's), l'immense portrait de Napoléon par Gérard (chez Whitfield), dépassent tous largement le million d'euros. Chez Dejonckheere, chez Salander O'Reilly, chez l'enfant du pays Noortmann, on se meut avec facilité dans ces «fourchettes». Le new yorkais French a l'ambition d'aller beaucoup plus loin et d'établir un record spectaculaire pour Segantini, avec un beau paysage de montagne. Quant à Dickinson, c'est peut-être le mieux placé pour la peinture la plus rentable de 2004 au pouce carré. Son minuscule et admirable Portrait d'homme par Memling, flirte avec les 3 millions d'euros…


 Rafael Pic
05.03.2004