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Matières d'artistes

Du marbre au béton, du papier-monnaie au plexiglass, l'art moderne peut se lire à travers les matériaux qu'il utilise. Réédition d'un ouvrage original de Florence Mèredieu.

Voilà un livre déroutant. Il est à la fois savant et d'approche aisée avec son découpage en chapitres courts précédés d'une citation. Mais le classement des supports utilisés par les artistes depuis un bon siècle n'obéit pas à une banale suite alphabétique. On a plutôt l'impression d'entrer dans le livre comme dans un cabinet de curiosités. Après un chapitre «classique» sur les «matériaux de la transparence», où sont successivement étudiés le verre, la laque, la vidéo, les résines mais aussi l'eau, on perd, un peu plus loin, ses repères dans «Tachisme et art informel». Il y est question de l'art de la tache, de ses rapports avec le sable et le nuage, de ses débouché sur l'amorphe… Autant de propos a priori compliqués mais que l'on se prend à suivre avec grand plaisir tant l'auteur les émaille habilement d'anecdotes et d'exemples concrets.

Au choix : merde, saindoux, fémur
Une fois passé ces écueils, on se précipite évidemment, page 346, sur «Les matériaux innommables», certain d'y trouver Manzoni et sa merde d'artiste. Il y est bien sûr mais le champ est bien plus large puisqu'on y rencontre les alumettes de Picabia, le saindoux de Beuys, les bois flottés de Villeri, le fémur de Broodthaers, la colle de Réquichot. Il n'y manque que les épluchures de Dereux. Au passage, on y apprend que Picasso faisait les poubelles pour chercher les éléments de certaines de ses sculptures comme la Chèvre (1950). Ce qui rend d'autant plus savoureux le prix qu'elles atteignent aujourd'hui… Un peu comme il advenait autrefois aux lecteurs forcenés d'encyclopédies - une race certainement en voie d'extinction - il faut ici procéder par ricochet, par rebond. Après s'être enquis du destin du bois - les linteaux de Gauguin aux Marquises mais aussi les totems de Chaissac ou les écorces de Richard Long - il est bon de sauter trois cents pages pour voir Braque produire un vrai-faux papier peint en bois. Et, aujourd'hui, avec les nouvelles technologies ? Est-ce la fin de l'art ? La conclusion de l'auteur est pour le moins surprenante. Le grand retour de l'image, glacée, polie, «hautement définie» constitue en réalité un grand bon en arrière. Nous retournons au temps de la «mimesis», de la reproduction exacte. L'art est une métempsycose…


 Rafael Pic
13.03.2004