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Expositions

Messieurs les Français, tirez les premiers

Une image exposée au musée Marmottan prouverait que le négatif papier est une invention française et non anglaise.


Tranchée française, 1915-1916,
similigravure © Institut de France
En une lointaine journée de canicule, François Arago fait une communication devant les membres de l’Institut de France. Le jour où Geoffroy de Saint-Hilaire lit un mémoire de paléontologie et où un autre scientifique tente de démontrer «la relation très simple entre la taille des animaux et le nombre de leurs pulsations», Arago présente une nouvelle invention et en fait don, au nom de l’Etat français, au monde. Nous sommes le 19 août 1839 et il s’agit évidemment de la photographie. Les décennies suivantes seront celles de l’expérimentation. Une pléiade de nouvelles techniques vont voir le jour. En souvenir de la glorieuse séance présidée par Arago, elles vont être soumises en priorité à la sagacité de l’Institut. Les deux commissaires de l’exposition «La photographie dans les collections de l'Institut de France», Laurence Hamouda et Catherine Dalarun, ont donc dû dépouiller une matière très riche pour effectuer une sélection qui court jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale.


Le temps des pionniers
Le principal «scoop», si l’on peut l’appeler ainsi, est une modeste vue de façades parisiennes. Elle est difficile à scruter tant la lumière lui est chichement mesurée. «Nous maintenons une luminosité de 3 ou 4 lux, explique Laurence Hamouda. L’excès de lumière peut être fatal pour une image ancienne, mal fixée. Il y a quelques années, un musée américain a ainsi vu s’effacer une photographie de Fox Talbot qu’il avait exposée trop longtemps à une source de lumière excessive.» Henry Fox Talbot, une personnalité polymorphe, est créditée de l’invention du négatif papier, appelé par lui calotype, en 1840. Or l’image pour laquelle on use ici de tant de précaution, est également un négatif papier. Il a été envoyé à l’Institut, dans un pli cacheté que l’on conserve, par Hippolyte Bayard en… 1839. De quoi relancer une intéressante recherche d’antériorité. Dans les vitrines, les propositions, farfelues ou non, des inventeurs sont couchées à l’encre, en belle écriture cursive. Et l’on en voit des exemples, en face, sur les cimaises. Voici un mode de reproduction des tableaux avec virage et fixage à l’hyposulfite par Blanquart-Evrard en 1851. Voici les premières photographies en couleur, ou héliochromie, par Ducos de Hauron en 1874. Et voici une curieuse technique, dite aristotypie, due à Remy et Contremoulin. Dans le cadre, un homme accablé, la tête prise dans d’étranges appareillages. La légende est explicite : «Tentative de photographie dans le sens antéro-postérieur. Sept heures de pose. Détermination du siège d’un projectile dans la tête. 1896».


Apollon d'Argos, 1893,
aristotype rose © Institut de
France
Squelettes, zoophytes et bagnards
S'il est vrai que de nombreux peintres voient la photographie d'un mauvais œil, les milieux scientifiques s'enthousiasment. On lit sur le procès-verbal d'une séance à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, en 1849, au moment du départ de Maxime du Camp pour son voyage avec Flaubert en Terre sainte : «Il part muni d'un appareil (de photographie) pour recueillir sur sa route, à l'aide de ce mode merveilleux de reproduction, les vues des monuments et les copies des inscriptions.» Que ce soit pour immortaliser des mollusques - avec cette belle composition centrée sur une étoile de mer, par les frères Bisson en 1853 - ou pour percer les secrets du squelette - comme sur cette Radiographie du cadavre d'une femme de 1896, on explore le monde dans toutes ses manifestations. Peuples et paysages ne sont bien sûr pas ignorés avec ces Grooms japonais tatoués (Felice Beato, 1870), cette Jeune femme de Bethléem, en tirage trichrome non daté, ou ces Prisonniers bouriates liés par une chaîne colossale.


 Rafael Pic
31.03.2004