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Politique culturelle

Le Pays de Galles gagne la guerre des prix

Le nouveau prix Artes Mundi, le plus richement doté au monde, a été remis à l'artiste chinois Xu Bing le 28 mars à Cardiff.


Xu Bing soufflant la poussière
du 11 septembre lors de la
mise en place de son installation.
CARDIFF. Après la frénésie du samedi et la victoire du XV de Galles contre l'Italie, les mondanités du dimanche 28 mars, à Cardiff, étaient entièrement culturelles. Pour la remise solennelle du premier prix Artes Mundi, l'immense hall du National Museum était investi par les caméras de la BBC et par le banquet offert aux «trustees» et autres sponsors. Ses promoteurs entendaient d'emblée placer leur prix au cœur de l'art contemporain mondial en le dotant d'une récompense spectaculaire : 40 000 livres sterling au lauréat, soit quelque 65 000 euros. C'est le double du célèbre Turner Prize, un des événements de l'automne londonien, du prix Beck's ou du prix Duchamp en France. C'est même davantage que le généreux (50 000 dollars) prix Hugo Boss, donné sous l'égide du Guggenheim de New York.


Jun Nguyen-Hatsushiba
Ho ! Ho Ho ! Merry Christmas -
Battle of Easel Point - Memorial
Project Okinawa
(2003)
extrait de vidéo, © Mizuma Art
Gallery Tokyo, Japan et l'artiste
Mort de la peinture
L'argent peut-il tout ? On pouvait nourrir quelques craintes en découvrant les artistes sélectionnés, distribués de façon peu équitable dans les salles du musée, certains bénéficiant d'une véritable mise en scène, d'autres se contentant d'un accrochage sommaire. Tous semblaient symboliser l'écrasante puissance du marché de l'art américain : deux vidéastes (Jun Nguyen-Hatsushiba et Berni Searle) étaient passés par le programme Matrix du Berkeley Art Museum, trois autres étaient «coachés» par de grandes galeries new-yorkaises telles que Luhring Augustine (Janine Antoni ), Pace Wildenstein (Michal Rovnerr) ou Brent Sikkema (Kara Walker). Et l'on notait l'absence de créateurs européens (à l'exception du gallois Tim Davies) et sud-américains. Une fois ces réserves énoncées, il fallait cependant reconnaître la qualité des travaux exposés. Ces dix artistes, choisis parmi plusieurs centaines sous la houlette de la commissaire Tessa Jackson, ont tous un discours original sur le thème choisi, la condition humaine. Peu importe, au fond, que leur provenance exagère éventuellement la vitalité de la zone Asie-Pacifique ou qu'elle fasse la part trop belle à la vidéo (la peinture est reléguée au range de curiosité archéologique).


Michal Rovner, Data Zone
(detail), 2003. Disques de Petri,
projection vidéo © L'artiste et
Pace Wildenstein
Gallery, New York, USA
Poussière du 11 septembre
La proposition la plus dérangeante, par ses liens avec la science, par sa réduction de l'homme à une bactérie en mouvement perpétuel, est celle de l'israélienne Micha Rovner, remarquée à la dernière biennale de Venise. Elle emprisonne dans des écrans vidéo en forme de boîtes de Petri (utilisées pour les bouillons de culture) des chorégraphies de chaînes humaines qu'elle a filmées à travers le monde. La néo-zélandaise Jacqueline Fraser décortique avec humour, au moyen de collages de tissus, la dictature que la mode exerce sur nos comportements. Fiona Tan, avec son nouveau-né joufflu et babillant, heureux d'être suspendu comme un parachutiste à ses ballons de baudruche, et Janine Antoni, sculptant puis léchant, pour le parachever, son buste en chocolat, explorent le champ de l'autobiographie et des relations familiales. Le lauréat est autre. Le chinois Xu Bing a su toucher le jury par une œuvre symbolique : une sentence philosophique dessinée dans la poussière recueillie à New York après l'effondrement des tours. On peut la trouver convenue (Duchamp faisait déjà des élevages de poussière !) et politiquement trop correcte. Mais tout à fait défendable pour un prix qui souhaite se donner l'ancrage le plus actuel possible. Des conclusions qui seront peut-être à affiner lors de la prochaine édition, en 2006.


 Rafael Pic
30.03.2004