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Moi je

L'exposition sur l'autoportrait au XXe siècle, au Musée du Luxembourg, se double d'un ouvrage luxueux chez Diane de Selliers.

Scruter sa propre apparence ? C'est évidemment un des thèmes majeurs de l'art depuis la Renaissance. Et la tendance ne s'est guère infléchie qu'à la fin du millénaire, en raison d'une crise de la peinture face à de nouveaux modes d'expression comme les installations ou la vidéo. Pascal Bonafoux, l'auteur de l'ouvrage, qui est aussi le commissaire de l'exposition, a choisi de porter son regard sur le XXe siècle. Pour organiser cette matière surabondante, il l'a découpée en thématiques dont chacun pourra discuter la pertinence mais qui tentent de rompre avec les habituelles taxinomies chronologiques, alphabétiques ou par écoles. Se succèdent des chapitres plus ou moins explicites comme Je(ux), Genres, Mythes, Identités, Ressemblances, Ateliers, Présences, Regards, etc. Le texte, assez enlevé, est très personnalisé et mêle références au cinéma, à la publicité, citations de Warhol et Balthus, vers de poètes espagnols ou sentences de Sénèque. Il s'agit en substance moins d'un écrit académique que d'une réflexion sous la forme d'un dialogue entre deux personnages, Moi et Je.

Eloge du nu
On croise les «grands», de Cézanne à Lucian Freud, de Duchamp à Tàpies. On voit des choses tout à fait inattendues comme ce Félix Vallotton chaussé de lunettes, portant une barbiche très Troisième République, Max Beckmann en infirmier, Otto Dix en artilleur, Alberto Savinio avec une tignasse de chanteur de rock. Ou encore cet Autoportrait conjugal de Tinguely. Mêlant de la ferraille, un oiseau mort et des roues de tricyle, il risque de ne pas convertir les sceptiques au mariage. On découvre des artistes trop peu connus : Herbert Ploberger en opticien, Germaine Brooks en chapeau noir et toute une série de Lovis Corinth. L'autoportrait très formel de la tradition se libère au XXe siècle. On se découpe en morceaux (Herbert Bayer), on se mutile (Simon Costin), on s'enlaidit avec du scotch (Douglas Gordon), on se voit à l'envers (Georg Baselitz), on se pixellise (Warhol), on se dédouble (Chirico ou Frida Kahlo), on se rebâtit avec une prise multiple, un sèche-cheveux et des bouts de plastique (Tony Cragg). Et l'on n'hésite pas à se montrer nu, très nu. Cela donne Autoportrait avec godemiché de Pierre Molinier, Eros où Egon Schiele se dépeint en pleine masturbation, ou encore Autoportrait avec pute de Stéphane Pencréac'h. Au XXe siècle, l'autoportrait est poussé à ses extrêmes limites formelles et thématiques. Quoi de neuf au XXIe siècle ?


 Pierre de Sélène
02.04.2004