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Expositions

L'artiste et son Bât-Starter © F. Monnin


L'artiste fait couler la résine © F. Monnin


Vue générale de l'installation © F. Monnin


Cardinali à Saint-Sulpice : sacrilège ?

Une installation de l'artiste italien Fausto Cardinali trouble la quiétude d'un monument français du 17e siècle.

«Honte au curé de cette église. Comment a-t-il pu autoriser une pareille clownerie ? » peut-on lire dans le Livre d'or que l'artiste a laissé à la disposition du public, devant l'œuvre éphémère construite dans la chapelle Saint-François Xavier de l'église Saint-Sulpice, à Paris. Au fil des pages, il est question d'«horreur, de blasphème et d'abomination. Quant à l'artiste, malade, flanquez le dans la Seine !» Il y a aussi des «Alléluia» et des «Merveilleux»... Les animateurs de Radio Courtoisie ont beau râler sur les ondes, certains visiteurs se laissent séduire. Rien d'étonnant, en fait, dans ce nouvel épisode du parcours de Fausto Cardinali le bien nommé : depuis une quinzaine d'années, cet orfèvre talentueux, formée à la grande école florentine d'Arezzo, n'en finit pas de développer un univers original, à travers lequel sacrement et sacrilège dialoguent ; à travers lequel eau et sperme ne font qu'un.

Bijoux, peintures, sculptures, installations, tout lui est bon pour parler du miracle de l'existence et de l'absurdité de la mort. Tout est prétexte à signaler l'inachèvement de toute chose. Ainsi ses tableaux, sur lesquels, chez les collectionneurs, Cardinali revient chaque année déposer une nouvelle couche de résine. Métamorphose de la matière et mystère de l'épaisseur, tels sont les constats mis en scène, à l'aide de procédés et de matériaux qui ne sont pas sans rappeler la grande tradition moderne italienne de l'Arte Povera. Il est ici beaucoup question d'héritage, de chagrin et de pudeur.

A Saint-Sulpice, un entonnoir digne d'un alchimiste évadé d'un film de Stephen Spielberg déverse, peu à peu, six cents litres de résine sur dix reproductions en grand format d'actes de baptême, parmi lesquels celui de l'artiste, baptisé à... Saint-Sulpice. Un autre certificat vient d'Algérie ; un autre, de Croatie. Chacun d'entre eux suit, l'un après l'autre, le même traitement, qui le fait momentanément disparaître. Il resurgira dans quelques semaines, lorsque la résine aura séché. Un cube de verre, contenant de la limaille d'argent, d'or et de cuivre, est régulièrement manipulé par l'artiste, qui, à l'aide d'un instrument étrange qu'il a fabriqué, le «bât-starter» (un bracelet mi-cuillère, mi-pinceau,
constitué d'argent, d'une boussole et de ses propres cheveux), parsème les surfaces créées de scintillements célestes. C'est poétique, monumental. Et ceux qui grognent feraient mieux de se plonger dans les registres de baptême de Saint-Sulpice. Car ils y retrouveraient l'acte de Baudelaire et celui du marquis de Sade.


 Françoise Monnin
15.10.2001