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Le marché de l'art français éternel Poulidor ?

En dépit des hausses récentes, les ventes publiques françaises d'art ne représentent que 6 % du marché mondial, contre 76 % pour les U.S.A. et l'Angleterre.

Les statistiques des ventes d'art aux enchères dans le monde qu' Art Sales Index publiera, comme chaque année, cette semaine, montrent pour la période 2000/2001, dans un marché en augmentation de 4%, un léger recul de la part prise par les U.S.A., et une progression de le France, de l'Italie et du Royaume-Uni.
Le groupe anglo-saxon - U.S.A. Royaume-Uni - passe de 79.56% du total à 76.56, tandis que la France passe de 5.39 à 6,14% du marché, mais demeure la lointaine et éternelle seconde.
Les ventes publiques d'art françaises représentent 8 % des ventes anglo-saxonnes. C'est dire le chemin qui reste à faire pour que le marché français redevienne «le premier du monde». La réforme en cours n'y suffira hélas pas à elle seule, contrairement à ce que laisseraient croire certaines prévisions trop optimistes.

Les bases statisitiques
Art Sales Index, qui publie des annuaires de résultats de ventes et propose sur internet le relevé des prix atteints en ventes publiques par les oeuvres d'art, a une définition restrictive du domaine. Elle relève uniquement le prix des tableaux, à partir d'une valeur de 2500 Fcs (portée à 20 000 Fcs pour les oeuvres d'école ou d'entourage), des sculptures et des oeuvres sur papier à partir de 10 000 Fcs. Ni mobilier, ni objets d'art, ni bijoux, monnaies ou autres objets de collection. Elle aboutit pour les ventes françaises de Juillet 2000 à Juin 2001 à un total de 1 237 829 964 Fcs, alors que Drouot, pour son «Produit Art» trouve pour la même période 3 290 000 000 Fcs (dans les deux cas hors frais et invendus)
Mais Drouot a de l'art une définition extensive, puisqu'il y inclut tout ce qui est vendu à Drouot et Drouot Montaigne et, pour partie, à l'extérieur, en bref 80% de son chiffre d'affaires. Et quiconque fréquente un peu les salles sait que tout n'y est pas art. Autres facteurs de correction : le relevé d'Art Sales est tres complet mais pas exhaustif, et est fait en livres sterling. La traduction du tableau statistique en francs à un taux unique sur un an peut fausser légèrement les pourcentages. Cela dit la série statistique est longue et correspond à un pourcentage constant de 35% environ des chiffres de Drouot, ce qui est cohérent. On peut donc considérer que les chiffres sont en tout cas réprésentatifs de l'évolution et des tendances du marché mondial.

Les chiffres clés
Nous publions en annexe imprimable le tableau complet des ventes pays par pays. Il en ressort trois constatations clés.

L'évolution des parts de marché La France est passée de 5.39% du marché mondial à 6.14, ce qui correspond à une augmentation de chiffre d'affaires de 18.70 %, sur une base de référence évidemment modeste. Le Royaume-Uni, tout en progressant de 1.74% en chiffre d'affaires, voit sa part de marché diminuer légèrement à 28.68% dans un marché en augmentation, tandis que les U.S.A., avec un chiffre d'affaire étal, n'ont plus "que" 47.88% du marché contre 50.21 l'an dernier. L'Italie double sa part de marché et passe à 2.84% ce qui la classe 4ème cette année. Les autres pays d'Europe sont stables.

La part de l'Europe, hors Royaume-Uni, avoisine les 20% Les pays de l'Est, Hongrie, Pologne, République Tchéque apparaissent marginalement. Quelques marchés asiatiques, l'Australie et l'Amérique du Sud se partagent les bribes restantes.

La valeur des lots vendus C'est un élément fondamental. Le prix moyen des œuvres vendues en Europe continentale tourne autour de 60 000 Fcs. Au Royaume-Uni, il est de 173 262, aux U.S.A. de 502 546. Pour atteindre sa part de 6% du marché, la France vend 20 745 lots. Pour 48% de ce même marché les U.S.A. en vendent 1 500 de moins... C'est aux U.S.A. et au Royaume-Uni que vont les oeuvres importantes.

Les différentiels à éliminer
Cet état des lieux correspond à des différentiels importants.
Le premier est évidemment celui des marchés. Le marché américain est à l'échelle d'un continent, riche, avec un contexte qui facilite les achats et les collections. Mais l'Europe, si l'on y inclut le Royaume-Uni, a un volume d'affaires égal. Le Marché commun peut égaler ici le marché américain. Cette piste suppose résolus un certain nombre de problèmes, et l'abandon d'une vision hexagonale des choses, mais elle est dans l'air du temps.A chacun ensuite d'essayer d'être le meilleur.
Le second est celui du cadre administratif et juridique. La TVA, le droit de suite font fuir les œuvres aux U.S.A.. Mais l'absence d'incitation aux collectionneurs et aux entreprises, les menaces récurrentes d'I.S.F., les tracasseries potentielles d'une convention Unidroit pétrie de bonnes intentions n'arrangent rien. Et il est temps de s'apercevoir que les revendications des professionnels du marché ne sont pas seulement catégorielles mais engagent aussi l'avenir du patrimoine. Les collectionneurs sont les premiers "fournisseurs" des musées. Il faut repenser complètement la politique de l'art.
Le troisième est bien sûr celui des structures administratives et professionnelles. Après des siècles de certitudes ignorant un peu trop l'évolution du monde, on va passer, la réforme des ventes aidant, à une nouvelle organistion du marché français. Mais le Conseil des Ventes n'y suffira pas. Il faut que les professionnels eux-mêmes bougent et s'adaptent à la mondialisation, que l'interprofession, française et européenne, antiquaires, maisons de vente, métiers d'art prenne son devenir en mains. Des signes encourageants apparaissent ici et là. Ce Quotidien sera heureux de se faire l'écho de toutes les réflexions et de toutes les initiatives.


 Jacques Dodeman
16.10.2001