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Marché

Vermeer, le prix de la rareté

Cela faisait presque un siècle qu'un tableau du maître hollandais n'était pas passé aux enchères. Sotheby's propose Jeune femme au virginal le 8 juillet à Londres.


Johannes Vermeer, Jeune femme
au virginal
, c.1670, © Sotheby's
LONDRES. Un Vermeer en vente publique ? On avait perdu le goût de ce genre d'événement. La dernière occurrence remonte à 1921 avec la Ruelle qui n'avait pas trouvé preneur. Ce tableau avait ensuite fait l'objet d'un achat de gré à gré, puis avait été offert par son propriétaire au Rijksmuseum dont il est aujourd'hui l'un des fleurons. Vermeer est parmi les peintres les plus rares du monde : ne sont reconnus de sa main que trente-sept tableaux. On se surprend donc de l'estimation très prudente : seulement 3 millions £ pour un chef-d'œuvre d'un maître ancien d'un tel gabarit ? Comment justifier cela losque que la Descente aux limbes de Mantegna a atteint 15 millions £ en janvier 2003 et le Massacre des Innocents de Rubens 45 millions £ en juillet 2002 ?

Cousine de la Dentellière
Les séquelles de l'affaire Van Meegeren se font encore sentir… Ce génial faussaire hollandais avait reconnu, lors d'un retentissant procès en 1947, avoir réalisé sept faux Vermeer et les avoir vendus aux plus grands musées du monde. A la suite de ce séisme, toute l'œuvre du peintre avait été auscultée avec une extrême sévérité et seuls les tableaux possédant un pedigree indiscutable avaient été maintenus dans son corpus. La réintégration de la Jeune femme au virginal a obéi à un processus long et minutieux (dix ans), conclu par l'adoubement des plus grandes autorités en la matière. Les pigments sont les mêmes que ceux qu'utilisait Vermeer, notamment le jaune de plomb, abandonné à la fin du XVIIe siècle, et ce très coûteux bleu outremer fait à partir de lapis-lazuli broyé. La toile elle-même est l'exact complément en dimensions de la Dentellière du Louvre : les deux tableaux auraient été réalisés avec deux pièces découpées dans la même toile. Ces éléments établis par Libby Sheldon de l'University College de Londres suffiront-t-ils à convaincre les potentiels acheteurs encore marqués par le syndrome Van Meegeren ? C'est probablement pour ne pas les effaroucher que Sotheby's a placé la barre très bas. Il y a fort à parier que le résultat sera tout autre. Après Alfred Beit, le céléèbre collectionneur irlandais qui le détenait au début du XXe siècle, après le baron belge Frédéric Rolin qui présida à sa réévaluation, qui sera son prochain possesseur ?


 Pierre de Sélène
31.05.2004