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Expositions

Fans d'Islande

Le festival Momentum, en Norvège, donne l'occasion de mieux comprendre la scène artistique… islandaise.


Asdis Sif Gunnarsdottir, Morgunblai, 2004
REYKJAVIK-MOSS. Difficile de passer à côté de l’islandomania et pourtant toutes les idées reçues peuvent être véhiculées sur l’île nordique. À commencer par celle de l’inexistence d’une scène plastique locale. C’est qu’à force d’avoir les yeux tournés sur Björk et ses épigones, les medias du monde entier se sont peu intéressés à cette facette de l’Islande. Il est vrai que les rares artistes locaux internationalement connus, à l’instar d’Olafur Eliasson et d’Erro, ont quitté leur pays depuis longtemps et que l’île, dépourvue de pavillon national à la Biennale de Venise, passerait presque inaperçue sur la planète de l’art contemporain. Et pourtant la scène islandaise commence à pointer le bout de son nez pour de bon : le groupe féminin Icelandic Love Corporation sera présenté à Art Statement sur Art Basel 35 ce mois de juin. Plusieurs artistes de l’île ont été montrés dans l’exposition que le musée national d’art contemporain allemand, Hamburger Bahnhof, a dédié à la création nordique l’hiver dernier, « Berlin North ». On retrouve trois autres plasticiens islandais à la troisième édition du festival Momentum qui se tient actuellement à Moss, en Norvège, à côté d’artistes suédois, danois et bien sûr norvégiens. Ainsi Magnús Sigurdarsson, Erla Haraldsdottir et surtout Ragnar Kjartansson, multi-activiste de la jeune scène artistique de Reykjavik. Plus connu pour ses collaborations scéniques et musicales avec le groupe pop Trabant (qui s’est produit à Paris le 2 avril dernier au Triptyque, salle de concert polyvalente du 142 rue Montmartre, dans le 2e arrondissement), Kjartansson est aussi un performer de premier plan à l’ironie autant critique que rieuse. Pour Momentum, il présente «Colonization», une vidéo qui revient sur l’occupation de l’Islande par le Danemark. Mais il est aussi un des membres actifs de Klink og Bank, un lieu alternatif crée récemment où sont aménagés, dans le centre de la capitale la plus septentrionale du monde, à deux pas de sa très active école des Beaux-Arts, des ateliers d’artistes et des studios de répétition pour des musiciens. La proximité avec la musique reste en effet souvent de mise et il n’est pas rare que des plasticiens locaux mènent en parallèle des activités de recherche musicale.


Ragnar Kjartansson, photo de
performance prise par Hordur Sveinsson
Aurora Borealis
Bjargey Ólafsdóttir, cinéaste et photographe à suivre de très près compose aussi sous le nom de formation «Bjargey og Oli» de la musique électronique autant introspective que mélodique, tandis que Finnbogi Pétursson fait figure de pionnier dans l’expérimentation arts visuels-sons. Ses installations technicistes qui auront trop rarement traversé la Mer du Nord pour être montrées en Europe, si ce n’est tout de même à la Biennale de Venise de 2001, restent parmi les rares dans la création internationale à mettre sur un plan égal formes plastiques et musicalité. Plus muets sont les dispositifs d’Asdis Sif Gunnarsdottir, du collectif «Brjalrl» exposé dans la «Berlin North» précitée. Ses films, ses images fixes, ses environnements et ses performances renvoient à une énigmatique perception du corps et de son moi. Isolées de toute référence visuelle, ses œuvres figurent comme un prosodie mentale et perceptuelle à l’aura singulièrement troublante. Sa première exposition personnelle importante en Islande, au Musée Àsmundarsafn, en février dernier, prenait des airs d’excursion poétique dans une dimension inconnue du sensible. Entre flashs visuels, narration inconsciente et perception hypnotique… De l’aurore boréale aux étendues vertes et enneigées, les éléments naturels pèsent de manière récurrente dans la création islandaise, au moins comme caisse de résonance sous-jacente, si ce n’est comme sujet explicite. Quant à cette question, un panorama de la création reykjavikienne ne peut-être qu’incomplet sans s’attarder sur Sigurdur Arni Sigurdsson, Birgir Andrésson et Ruri, trois figures internationales qui ont représenté l’île à Venise ces dernières années et dont les œuvres traitent du paysage naturel avec des approches radicalement différentes les unes des autres. Mais d’imminentes expositions en France, pour la prochaine rentrée, qui accueillera une quinzaine islandaise, fourniront sans doute l’occasion de combler ce manque…


 Frédéric Maufras
10.06.2004