Home > Le Quotidien des Arts > L’art dans l’enfer du jeu

Expositions

L'art dans l'enfer du jeu

Tradition locale oblige : la cinquième biennale d'Enghien-les-Bains est placée sous le thème du jeu.


Myeong-eun Shin, Poodle 1996,
installation permanente, Fukuoka
© Myeong-eun Shin et l’association in situ
ENGHIEN-LES-BAINS. Pour cette cinquième édition, les œuvres de sept artistes et d'une agence d'architecture ont été disséminées dans la ville : ce principe de «parcours artistique» a été instauré dès les débuts, en 1996. Aux commandes, on trouve la même solide équipe : Catherine Grout, la commissaire, qui est historienne et critique d'art, et Christine Bernadretti et Christine Larroque de l'association in-situ, qui s'est donnée pour mission de diffuser la connaissance de l'art contemporain à Enghien et dans le Val d'Oise. Cette année, l'accent est mis sur l'humour et sur la couleur. La présence de Daniel Buren, précurseur de l'art in situ, est donc tout à fait appropriée. Quant à la couleur, il l'a déclinée à partir de son motif de prédilection : les bandes de 8,7 cm de largeur. Pour l'occasion, il a peint les passages piétons de bandes blanches sur fond vert, rappelant les tapis de jeu des casinos. Les Poodles ou «caniches royaux» représentent, depuis une dizaine d'années, le motif essentiel de l'artiste coréenne Shin Myeong-eun. Trois caniches monumentaux moulés en vinyle occupent le jardin public et la gare et réapparaissent, à échelle réduite, dans les vitrines des commerçants. Le titre de la biennale «Rien ne va plus» peut évoquer un espace quotidien perturbé et transformé par la présence d’œuvres inattendues. Cette modification discrète du quotidien s'observe dans la signalétique créée par l'artiste française Odile Fuchs. Elle a balisé un chemin rose en s'inspirant des parcours de randonnée, tout au long des œuvres de la biennale. Un deuxième chemin, tracé à l'aide de signes orange, conduit le visiteur dans une promenade inédite de la ville, au gré de curiosités choisies en commun par l'artiste et les citadins. Les photos de Jean-Luc Moulène nous aident elles aussi à prendre conscience de notre environnement en «parasitant» les panneaux publicitaires, les abribus, etc. L'intégration des oeuvres dans l'espace urbain tend à créer une ambiguïté entre l’œuvre d'art et l'objet du quotidien, mettant ainsi en application la pensée de Robert Filliou : «L'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art».

Vue sur le lac
Cette manifestation pose aussi la question de la participation du spectateur. Le Bateau Imaginaire de Franz West et Heimo Zobernig, deux artistes travaillant à Vienne, adopte le schéma d'une plate-forme recouverte de chaises. Le modèle évoque un bateau où l'on peut se réunir à plusieurs, mais le format empêche d'en faire usage ; créant ainsi une sorte de frustration chez le spectateur. Ce n'est pas le cas de Construction Fence du Japonais, Tadashi Kawamata, qui s'inspire des barricades de chantier en milieu urbain, et présente des enclos mis à la disposition du public. Le visiteur peut s'isoler à l'intérieur, muni d'une clef. Ces enclos serviront aussi de cadre pour accueillir les groupes lors de la fête de la musique. Cette installation questionne l’ambiguïté entre espace privé et espace public dans une ville où le débat est omniprésent : le lac, accessible à tous, est bordé de propriétés privées. Une performance de deux artistes zurichois, Joel Frattini et Lukas Beyeler, qui a eu lieu le jour du vernissage, consistait à tatouer des cervelas selon le motif choisi par le spectateur. L'encre étant comestible, on pouvait consommer l’œuvre ou la conserver dans un endroit insolite pour une oeuvre d’art : le congélateur…


Tadashi Kawamata, Construction
fence
, Enghien 2004 © Tadashi
Kawamata et l’association in situ
Création architecturale
L'un des grands enjeux de la biennale est de familiariser le public à l'art contemporain. Les membres de l'association in-situ expriment leur volonté de toucher le plus grand nombre. C’est-à-dire les commerçants et les habitants, proches ou lointains, comme ceux qui ne se rendent à Enghien que pour profiter des activités ludiques de la ville, autour du lac et du casino. Les œuvres placées à ces endroits invitent à poursuivre le parcours à pied, à partir d'un plan et d'un journal de la biennale disponibles dans des boîtes placées tout au long du parcours. L'adhésion du public semble réelle. On peut même voir des oeuvres comme le Parcours Sportif d'O.Fuchs, présenté à la biennale précédente, installé de manière permanente au jardin de la Presqu'île aux Fleurs. La commissaire insiste sur le souvenir qui se crée entre les biennales. La chaise installée par D. Pondruel lors de la dernière édition trouve un écho cette année avec les chaises du Bateau Imaginaire, reprises de manière collective.
Un long combat a permis d'obtenir le soutien du département du Val d'Oise et de l'Ile-de-France. une décision logique quand on sait que la biennale s'accompagne d'évènements pédagogiques. L'opération «Mobil Art» consiste à élaborer un projet entre des artistes invités aux précédentes biennales et des élèves de différents établissements scolaires du Val d'Oise, ne pouvant faire le voyage jusqu'à Enghien. A ce jour, six artistes ont déjà collaboré avec une trentaine d'établissements. Les étudiants sont aussi directement associés à la réalisation des œuvres de la biennale. Le Bivouac en roses s'ouvrant comme une fleur, qui est la structure d’accueil de la manifestation, témoigne d'une collaboration entre l'agence d'architectes et artistes anglais :MUF, et les élèves de trois lycées professionnels d'Ile-de-France.


 Yseult Chehata
09.06.2004