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Musées

Le Jeu de Paume prête serment à la photo

L'institution parisienne entame sa nouvelle existence avec un enfant terrible de l'image de mode, Guy Bourdin.


Guy Bourdin, calendrier Vogue
juillet 1985
© The Guy Bourdin Estate, 2003
PARIS. La décision, prise par Jean-Jacques Aillagon, de faire du Jeu de Paume le principal centre d'exposition parisien consacré à la photographie, a suscité un certain nombre de résistances, notamment de la part des différentes institutions appelées à fusionner (Jeu de Paume, Patrimoine photographique, Centre national de la photographie). Une grève, il y a quelques semaines, a été désamorcée avec la promesse qu'il n'y aurait pas de licenciement de personnel. Une autre inquiétude tenait à la nature du lieu : le Jeu de Paume, avec ses immenses salles, est-il adapté pour exposer de la photographie ? Sur ce second point, l'examen de passage est assez réussi. Les tirages de Guy Bourdin sont de grandes dimensions et occupent bien l'espace tandis que les couleurs saturées jurent efficacement avec le blanc des murs.

Jeu avec les icônes
On pourra regretter que le public français n'ait pas eu droit plus tôt à une rétrospective Guy Bourdin. Des querelles de succession, après sa mort en 1991, ont rendu difficile son organisation, qui, par ailleurs, a été précédée par un premier round anglais au Victoria & Albert Museum, d'avril à septembre 2003. Peu importe, au fond, car ces images restent étonnamment dérangeantes. Cela tient en partie aux cadrages audacieux, avec des gros plans inattendus. Mais cela tient bien plus à la façon dont Bourdin joue, en les massacrant, avec les icônes ou les hantises (celles de son époque ou celles qu'il devait pressentir) de la société de consommation : l'alcool, le sexe, le crime, la pédophilie. Certaines images de campagnes publicitaires (notamment pour le chausseur Charles Jourdan) et de sujets dans Vogue (où il travailla une trentaine d'années, de 1954, à 28 ans, jusqu'à la fin des années 1980), ne passeraient pas aujourd'hui le crible du Bureau de vérifiction de la publicité : une femme à la poitrine nue, dont les mamelons exsudent du sang ; cinq enfants maquillés serrés dans un lit ; deux jeunes femmes étendues (mortes ?) sur un tas de gravats près d'une cabine téléphonique, dans une parfaite ambiance de film noir de série B.

Qui trop embrasse…
L'exposition montre aussi ses films et d'autres tirages moins connus, plus personnels - des polaroïds ou des gros plans en noir et blanc sur des cailloux ou autre détails anodins dans la nature. Le Jeu de Paume, voulant toucher le plus large public possible, propose une seconde exposition. Intitulée «Eblouissement», elle consiste en une balade thématique où l'on croise les hystériques de Charcot, la tour Eiffel et Jean-Marc Bustamante. A la rentrée 2004, on n'aura d'ailleurs droit qu'à une seule exposition de ce type sur le site Concorde (en opposition au site Sully du Jeu de Paume, l'ancien Centre national de la photographie). Ce sera l'«Ombre du temps», qui a pour mince ambition de raconter l'histoire de l'image photographique au XXe siècle. On craint un peu ces défis colossaux, cachés derrière des intitulés peu parlants. Et l'on regrette que ne soit pas poursuivie de façon systématique cette politique d'expositions monographiques sur nos contemporains, bien entamée avec Bourdin.


 Rafael Pic
24.06.2004