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David Hockney, Savoirs secrets

Un peintre décortique cinq siècles de tableaux

David Hockney renouvelle l’histoire de l’art en s’intéressant à l’utilisation des instruments optiques.



En 1999, David Hockney visite une exposition consacrée à Ingres à la National Gallery de Londres. Il y est subjugué par les portraits dessinés en moins d’une journée : les personnages qui ne font pas partie de l’entourage de l’artiste sont rendus à toute petite échelle avec une surprenante précision. C’est alors le regard du technicien qui prime et Hockney se penche sur le « comment » de leur exécution. Supposant l’utilisation de techniques optiques aujourd’hui perdues, il se lance dans une recherche qui va le mener loin : ré-invention d’instruments optiques, rencontre d’historiens d’art, participation à des séminaires de recherche prestigieux et, enfin, rédaction d’un livre.

Par la simple vertu de l’image, celle du rapprochement entre les œuvres, Hockney met en évidence des évolutions de représentation qui ne peuvent être imputées au seul style, des distorsions et des discontinuités incompréhensibles... Ne faut-il pas voir l’utilisation des camera obscura derrière la transformation du traitement des vêtements ? Ce nouvel outil expliquerait en effet le monde qui sépare les plats costumes d’un Gentile da Fabriano de 1423 des volumes convaincants et des motifs textiles suivant les plis de la robe damassée du chancelier Rolin de van Eyck en 1436. Si dans des natures mortes de Juan Sánchez Cotán, un choux, un coing, un concombre et un melon coupé sont placés dans un même plan, n'est-ce pas pour éviter les problèmes de netteté et de profondeur de champ qui surgissent lorsqu'on utilise une installation optique combinant lentille et miroir concave ? Hockney semble trouver une confirmation à son analyse dans les clins d’œil d’artistes : l'anamorphose d'un crâne au premier plan des Ambassadeurs d’Holbein, la lentille portée par Léon X dans le portrait de Raphaël...

Le génie d’Hockney, c'est de ne pas nous donner l'impression d'assister à un cours magistral. Au contraire, il nous fait suivre son parcours, avec ses divagations, nous amène à observer encore des peintures « trop connues » et nous invite à formuler nos propres conclusions. Pour cela, il nous fournit toutes les clés nécessaires. Les reproductions des œuvres, les tracés de ligne de perspective, les décompositions de scènes en plans multiples, mais aussi les vues des installations optiques qu’il a élaborées et les résultats qu’il a obtenus en les utilisant, les documents anciens recueillis à propos des techniques optiques ou les lettres de spécialistes qu’il a contactés.. En retrouvant ces « méthodes qui ont échappé aux historiens de l’art », Hockney propose une nouvelle lecture de cinq siècles de peinture. Qu’elle les horrifie ou qu’elle les stimule dans leurs recherches, gageons qu’elle ne laissera pas les spécialistes de marbre.


 Zoé Blumenfeld
18.10.2001