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Expositions

Anonyme, France
Moulage d'une tête d'Anglais, vers 1840. Plâtre peint
Paris, Musée de l'Homme, laboratoire d'anthropologie
© cliché Patrice Schmidt, musée d'Orsay


Instants de vie

Le Musée d'Orsay entreprend avec l'exposition A Fleur de peau, la réhabilitation d'une pratique longtemps mal considérée, le moulage sur nature.

Loin de s'attacher au seul usage artistique de ce procédé, le musée d'Orsay aborde ici toutes les applications de cette technique, qui connut son apogée au 19e siècle. Dix usages ont été distingués, des masques mortuaires et autres fétiches à l'exploitation scientifique de la technique en passant par l'atelier de l'artiste. Les masques sont à usage privé et répondent à divers desseins, ils peuvent être exécutés du vivant du modèle dans une volonté de pérenniser son image ou réalisés après le décès, comme le faisait la Rome Antique, pour la postérité. L'exactitude du résultat n'implique pas la ressemblance avec le vivant, qui apparaît souvent figé, crispé par l'exercice que l'on imagine peu agréable du moulage sur nature.
La nécessité pour le poseur de fermer les yeux n'a pour effet que de renforcer ce manque d'expressivité. Néanmoins les premiers exemplaires de masques sur le vif exposés ici, dont très peu ont été peints, démontrent d'emblée l'atout inégalable de cette technique : saisir les moindres frémissements de l'épiderme, ses plis et son grain.

Le culte du souvenir trouve un prolongement dans la fabrication de fétiches : une partie du corps était moulée, souvent la main droite, considérée alors comme symbole de la personnalité. Aux mains anonymes sont juxtaposées celles de Victor Hugo, Ingres ou encore Rodin. Ce dernier a été l'un des nombreux artistes du XIXe siècle a faire usage du moulage sur nature comme document d'atelier. La technique présentait de fait quelques avantages, elle permettait l'économie d'un modèle professionnel et offrait un large répertoire de poses, consultables à l'envi. Le moulage était effectué soit par l'artiste soit par un professionnel qui en faisait commerce. La plupart du temps, il s'agissait de parties du corps (jambes, bras, les jonctions bras-épaules, etc.) fixées dans des poses académiques ou animées d'une expression plus spontanée. A cette production s'ajoutent les moulages d'objets, de vêtements, à l'image de cette imposante robe de chambre, moulée par Rodin pour Balzac.

L'exactitude de cette technique qui n'est autre qu'une empreinte de la réalité suscita quelque polémique dans le milieu artistique. Rodin, relayé par Baudelaire, met en garde contre un art qui se contenterait de copier la réalité et qui serait par conséquent dépourvu d'«éloquence». Quelques scandales éclatent, certains sculpteurs dont Falguière et son œuvre exposée ici, La Danseuse, sont accusés, à raison, d'importer directement le fragment moulé dans la réalisation sculptée. L'utilisation scientifique de la technique est largement illustrée dans l'exposition, qui accorde une large part aux usages ethnographiques, phrénologiques (la phrénologie étant l'étude de caractères à partir de la forme du crâne), archéologiques, nouvelles sciences émergeant avec les théories de Darwin et Lamarck. La tête d'Anglais, reproduite ci-dessus, frappe par sa vraisemblance et révèle les possibilités d'un tel procédé mis au service de la science.




 Raphaëlle Stopin
30.10.2001