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Expositions

Henri Gervex, Une soirée au Pré-Catelan, 1909, huile sur toile


Prosper-Joseph Florence, Patineurs au bois de Boulogne, huile sur bois


Henri Gervex, Le bal (détail), 1890, huile sur toile


Du côté de chez Proust

Le musée Carnavalet expose la donation Seligmann, un superbe ensemble de toiles qui évoquent l’époque de Marcel Proust.

François-Gérard Seligmann (1912-1999) fut marchand d’art et conseiller de nombreux musées. Son père s’était déjà fait une réputation de premier plan dans le domaine. Il possédait un hôtel particulier, occupé depuis par l’ambassade de Pologne, où il recevait ses clients. Admiration sans bornes pour le géniteur, nostalgie d’un art de vivre à la française ? Voilà ce qui a peut-être poussé François-Gérard Seligmann à cultiver dans son propre jardin secret un auteur – Marcel Proust – et une époque – celle à laquelle on apposa, avec justesse, l’épithète Belle… Au lendemain du second conflit mondial, dans lequel son engagement lui vaudra la Croix de guerre, il rouvre la galerie de la place Vendôme, un haut lieu de l’art français du 18e siècle.

Dans les salles de l’ancien hôtel particulier de la marquise de Sévigné, le velours rouge des banquettes répond au rouge vif des portraits de Carolus-Duran, l’un des peintres de prédilection de François-Gérard Seligmann, à côté de Béraud ou Gervex. Seligmann croyait fermement en l’étoile de ces artistes, tombés dans l’oubli ou tout entier réduits à une seule œuvre, comme cela fut le cas pour la scandaleuse Rolla de Gervex. Depuis, Béraud a été largement réévalué. Gervex, qui entre aujourd’hui en force au musée Carnavalet avec 13 tableaux, devrait suivre ses traces. Dans son Cercle de l’île de Puteaux, dans sa Soirée au Pré-Catelan, c’est tout un beau monde disparu qui refait surface. Chapeaux, nœud papillon, toilettes : on reconnaît Liane de Pougy, Santos-Dumont ou Anna de Noailles, l’une des grandes amis de Marcel Proust, qui partageait avec lui l’habitude d’écrire au lit, la nuit durant. Henry Somm, dans des aquarelles nerveuses, ou Louise Abbéma, font de l’«élégante» un thème de prédilection. Qui s’y oserait aujourd’hui ?

Des images de bal, de journées aux bains de mer, de promenades avec petit chien, de salons littéraires, de voyages dans des compartiments luxueux et capitonnés se succèdent. Dieu, que la vie était jolie ! Comme l’on aurait eu tort de ne pas en jouir ! Son meilleur chroniqueur en a bien sûr été Proust et tous ces tableaux, raffinés, galants, spirituels en sont un pendant idéal. Sur les murs du fond, des séries d’esquisses publicitaires de Paul Colin ou de dessins de mode par l’espagnol José de Zamora achèvent de faire le portrait d’une époque. On ne manquera pas, en guise d’ultime madeleine, une visite à la chambre de Proust, à l’étage. Pour s’assurer de l’existence, entre sa canne, son épingle de cravate Cartier et son paravent chinois, du fameux lit en laiton…


 Rafael Pic
06.11.2001